Vous souvenez-vous du temps des enfants qu'on disait tout bas «illégitimes»? Ils n'avaient pas les mêmes droits que les autres parce que leurs parents avaient fauté. Les droits individuels émergents auront rendu l'iniquité de leur statut intolérable. Alors, le législateur a décrété que les enfants dotés de filiation disposaient des mêmes droits en dépit des circonstances de leur naissance (article 522 du Code civil).

Puis, la science a rendu possibles d'autres modes de procréation comme le recours aux mères porteuses. Récemment, un juge de la Cour du Québec refusait à la conjointe d'un père d'adopter la petite fille née de l'insémination d'une mère porteuse avec le sperme de ce dernier. Une condition essentielle manquait: le consentement à l'adoption du père était vicié. Il faisait partie d'une démarche illégale et contraire à l'ordre public qui, par une voie détournée, donnait à un contrat absolument nul des conséquences juridiques via l'adoption.

 

Le propos ici n'est pas de critiquer l'interprétation donnée par ce juge au droit actuel, laquelle n'est pas la seule. La situation varie au Canada et les tribunaux supérieurs diront bien un jour ce qu'il convient de comprendre. D'ici là, regardons ce qui arrive à l'enfant.

À l'hôpital, l'attestation de naissance donnait comme parents la mère porteuse et le conjoint. Cette dernière a signé un consentement à l'adoption du bébé avant de disparaître de la vie de l'enfant prise en charge pour toujours par le couple. Ensuite, le père est allé déclarer la naissance auprès du Directeur de l'État civil sans mention de l'autre parent. L'acte de naissance officiel est donc sans écriture pour la mère. Faute d'adoption, la femme qui l'élève ne le sera jamais légalement, avec toutes les conséquences qui découlent de l'absence de l'autorité parentale à la maison, à la garderie, à l'école, à l'hôpital et partout ailleurs.

Quant à l'intérêt de l'enfant, le juge a estimé qu'il n'autorisait pas n'importe quoi et surtout pas le non-respect de la loi. Il ne pouvait pas blanchir la conduite répréhensible du père et de sa conjointe.

Il résulte de tout cela que l'enfant n'a pas de mère légale. À l'instar des enfants illégitimes de jadis, il est privé de droits importants à cause du comportement de ses parents, comme s'il y avait une bonne ou une mauvaise façon de naître. Que le caractère flou et incertain des lois actuelles autorise une telle interprétation constitue une possible régression du droit de l'enfant à l'égalité des chances, nonobstant la manière par laquelle il est entré dans l'existence. Qu'il soit né d'un viol ou par l'effet d'un contrat de nullité absolue, l'enfant devrait avoir accès à tout ce que notre société prévoit pour la protection et le développement de ses petits.

Qu'on le veuille ou non, la procréation assistée a de l'avenir. Qui aurait prédit, il y a 30 ans, que les couples de même sexe seraient reconnus comme des parents compétents? Une société civilisée doit contrer toute commercialisation du corps féminin et tout marchandage d'enfant. Mais on empêchera difficilement d'honnêtes gens désireux d'être parents de demander à une mère porteuse ce que la nature leur refuse. L'opinion publique doit en débattre.

Pour sortir de cette zone équivoque où le sort d'un enfant dépend du lieu de sa naissance ou des fluctuations de la jurisprudence, le public a besoin de lois claires et équitables afin que tout enfant entre dans la vie en toute innocence.

Ginette Durand-Brault

L'auteure est juge retraitée de la Cour du Québec.