À écouter Bernard Landry commenter la nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt, le gouvernement du Québec vient de livrer l'institution à des intérêts ontariens. «Sa culture est fédérale... elle est canadian, ce qui n'est pas un défaut en soi, mais qui ne qualifie pas pour diriger la plus grande institution financière de la nation québécoise», de déclarer M. Landry. Ce faisant, M. Landry vient d'hypothéquer la carrière de pas mal de Québécois fédéralistes en excluant des postes de direction de nos institutions tous ceux qui ne sont pas purement Québécois ou qui, s'ils le sont, ne font pas profession de foi nationaliste.

Encore une fois, l'ancien chef du PQ et premier ministre se laisse emporter par ses émotions indépendantistes et leur conséquence lorsqu'elles donnent dans l'excès, c'est-à-dire, une sorte de dérive ethnique. Je ne veux et ne peux pas préjuger de l'aptitude de Michael Sabia à réussir dans sa nouvelle mission et je ne veux pas le défendre non plus. Personnellement et idéalement, je pense que le processus de nomination aurait dû trouver son aboutissement une fois tous les membres du conseil d'administration de la Caisse choisis. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Mais, qu'à cela ne tienne, ils auraient peut-être porté leur choix sur ce candidat. Il serait toutefois souhaitable qu'en 2009, on juge une personne sur ses qualités personnelles et professionnelles plutôt que sur son origine ethnique ou son adhésion au fédéralisme.

 

Henri-Paul Rousseau a-t-il été choisi comme président de la Caisse de dépôt en raison de son nom, de son extrait de baptême ou de ses compétences? Le fait qu'il s'appelle Rousseau et qu'il soit un Québécois de souche a-t-il placé la Caisse à l'abri de ses mauvaises performances en 2008? Poser la question, c'est y répondre.

Quelle différence y a-t-il entre un Ontarien de naissance et un anglophone né à Montréal? Les Ontariens ont-ils une valeur à nos yeux uniquement parce qu'ils achètent des produits québécois? Si l'on appliquait à la lettre le raisonnement de Bernard Landry, un Québécois devrait-il refuser d'assister à une partie de hockey du Canadien parce que plus de la moitié des joueurs ne sont pas québécois? Devrait-il se priver de recevoir les soins d'un médecin spécialiste sous prétexte que ce dernier est né en Colombie-Britannique? Devrait-on refuser de s'inscrire à un cours de commerce aux HEC parce que le professeur est américain d'origine et qu'il n'y a aucune trace de culture québécoise dans son ADN? Paul Desmarais est un Franco-Ontarien qui a décidé de s'installer au Québec et d'encourager dans son sillage la réussite de centaines de Québécois. C'est un fédéraliste de conviction. Devrait-on lui délivrer un permis de séjour?

A contrario, il faudrait demander à Bernard Landry, pourquoi les Américains ont choisi un Québécois du nom de Patrick Pichette pour le poste de vice-président et chef de la direction financière de Google à Mountain View, en Californie, en juin 2008? N'y avait-il pas un seul Américain «pure laine» capable de relever ce défi? Les Québécois auraient-ils un génie dont les autres sont privés?

Si l'on veut une Julie Payette dans l'espace, un Cirque du Soleil à Tokyo, des avions de Bombardier à Francfort et si l'on souhaite que des milliers de Québécois, comme c'est le cas, aient accès à une carrière internationale, à New York, Londres ou Paris, il faudra bien accepter de temps en temps d'intégrer dans nos institutions une personne qui ne descend pas directement de la tribu. Évidemment, quand on pense depuis des lustres comme M. Landry que les autres Canadiens sont de purs étrangers et qu'ils n'ont rien à nous apprendre, on n'est guère étonné par ses propos.

Richard Vigneault

L'auteur est consultant en communication et conseiller des premiers ministres Daniel Johnson et Jean Charest.