L'auteur est directeur de l'École nationale de théâtre, président de Culture Montréal et vice-président du Conseil des arts du Canada. Ce texte est extrait de l'allocution qu'il a prononcée hier à Ottawa, en acceptant le prix Keith Kelly pour le leadership artistique 2008.

Ma citation préférée à propos du leadership est celle de mon collègue britannique Charles Landry: «Le leader raconte une histoire extraordinaire et son talent est de persuader chaque personne qu'elle a un rôle à jouer dans cette histoire.»

 

En constatant, aujourd'hui, les ravages pernicieux et douloureux d'une crise mondiale qui n'est pas seulement économique ou financière, mais qui se révèle de plus en plus être une profonde crise des valeurs, voire même une crise de civilisation, force est de nous demander quelle est l'histoire qu'il nous faut raconter pour faire avancer les choses, pour ré-enchanter notre monde?

En effet, la crise atypique qui sévit et qui nous aspire dans un tourbillon d'inquiétude et de spéculations négatives et déprimantes, nous oblige à remettre en question le rôle et la position morale, politique, sociale et économique, en un mot: la posture, des artistes et de leur entourage plus ou moins immédiat auquel appartiennent plusieurs d'entre nous en tant que pédagogues, communicateurs, experts, gestionnaires, et dirigeants d'associations professionnelles et d'organismes artistiques et culturels.

Alors que les médias égrènent, chaque jour depuis des mois et avec force détails, le cortège accablant des pertes d'emploi, des épargnes envolées en fumée, des rêves abandonnés, des gestes parfois irréparables provoqués par le désespoir, et des discours creux qui ne consolent ni ne mobilisent, il devient de plus en plus ardu mais urgent de faire entendre la voix de celles et ceux qui continuent de chercher l'or au coeur de la condition humaine. Qui continuent de proclamer que les forces irrationnelles et inconséquentes du marché - et de la consommation boulimique sensée le soutenir - ne suffisent pas et ne suffiront jamais à donner un sens à notre vie en société et encore moins à nos trajectoires individuelles.

Comme plusieurs des étudiants que je côtoie à l'École nationale de théâtre, comme plusieurs des artistes et des collègues de toutes disciplines que je croise à Montréal et ailleurs au pays, je suis convaincu qu'il ne faut pas courber l'échine, qu'il ne faut pas nous enfermer dans nos studios et nos salles de répétition sous prétexte qu'ils nous éloignent de la turbulence, et qu'il ne faut surtout pas nous taire poliment et commodément en attendant que passe la crise et que reviennent les jours meilleurs. L'idée que notre seule stratégie serait de «sauver les meubles» est non seulement trompeuse, mais dommageable, car elle conduit directement à nous isoler et à confirmer les pires préjugés et accusations d'élitisme et d'égoïsme que l'on profère parfois pour minimiser notre contribution réelle à la société.

Nous, qui clamons volontiers, quand tout va plutôt bien, que les arts et la culture ne sont pas un luxe ou une frivolité, serions vraiment inconséquents si nous nous défilions et nous occupions de nos petites affaires, alors que des pans entiers de l'économie tombent avec fracas et que le tissu social se déchire. Le repli défensif, le «wait and see», est peut-être une bonne stratégie pour les gestionnaires de portefeuille, mais pas pour le secteur culturel. (...)

Nous devons donner accès à l'émotion, au ravissement, à la beauté, à la quintessence de l'humanité dans ses sombres replis comme dans ses zones de lumière aveuglante. Nous devons continuer de chercher, de créer, de produire, de diffuser, mais nous devons aussi réinventer la participation démocratique en insistant sur le rôle des arts et de la culture. Cet or que nous prospectons dans la condition humaine, il est temps de le présenter au grand jour comme la valeur refuge dont nous avons besoin alors que la crise gangrène jusqu'à la dignité de nos semblables.