Les États-Unis subissent l'une des crises financières les plus importantes des 75 dernières années, d'une ampleur similaire à ce que les Japonais ont connu à la fin des années 80. Le ralentissement économique américain qui en découle est bien réel et, à moins d'un revirement inespéré au cours des deux prochains mois, sera le plus important depuis la Grande Dépression (mais, soulignons-le à gros trait, que nous sommes encore très loin de l'ampleur de celle-ci). Bien qu'il y ait des divergences d'idées fondamentales sur les façons de faire, la nécessité d'agir de manière agressive aux États-Unis fait l'objet d'un large consensus. L'administration Obama le répète sans cesse: le péril de ne pas agir suffisamment est beaucoup plus grand que le péril de trop agir.

Au Canada et au Québec, cette situation nous ébranle profondément. Comment pouvons-nous sortir indemnes de cette situation? Impossible, évidemment, puisque c'est notre principal partenaire commercial qui est en détresse. Mais une fois cela dit, il semble qu'un raccourci nous amène soudainement à percevoir que ce que vivent nos voisins du Sud devient notre réalité. Et à mesure que cette perception s'installe, la pression politique s'accentue au Québec et au Canada: une majorité semble demander des actions concrètes, rapides et agressives pour contrer les difficultés économiques actuelles.

 

Or, si le ralentissement économique se manifestait différemment au Canada et au Québec qu'aux États-Unis, le dosage de nos interventions ne devrait-il pas être différent? Avant de simplement calquer nos voisins qui gèrent leur propre situation et ont en leur pouvoir de s'attaquer à la source du problème, il semble utile d'aller au-delà de l'anecdote et de jeter un coup d'oeil sur la façon dont ce ralentissement se répercute chez nous jusqu'à maintenant.

Pas comme les autres

La détresse économique américaine se traduit par une diminution des exportations québécoises. Les effets du repli des exportations se font rapidement sentir et se manifestent généralement par des pertes d'emplois. À ce sujet, il est intéressant de comparer les pertes d'emplois des récessions de 1981 et 1990 à celles d'aujourd'hui au Québec, au Canada et aux États-Unis.

On remarque que pour les récessions de 1981 et 1990, les pertes d'emplois au Québec et au Canada suivaient de très près celles survenues aux États-Unis. Toutefois, les pertes d'emplois ont été beaucoup plus importantes ici que chez nos voisins du Sud. De plus, la période de récupération a été significativement plus longue ici pour les deux précédentes récessions (près de 68 mois au Québec à la suite de la récession de 1990, comparativement à environ 32 mois aux États-Unis). Sur la base de cette analyse, il est possible que l'avenir s'annonce plutôt sombre de ce côté-ci de la frontière.

En examinant la situation actuelle, on réalise que le passé n'est pas nécessairement garant du futur. Alors que dans le passé, les pertes d'emplois québécoises et canadiennes suivaient presque immédiatement les pertes d'emplois aux États-Unis, présentement, 14 mois après le début de la récession aux États-Unis, nous n'avons toujours pas observé ici de détérioration marquée et soutenue de l'emploi.

On remarque aussi que la récession actuelle donne lieu à une détérioration du marché de l'emploi aux États-Unis qui est similaire à la détérioration observée en 1981. Alors que la récession américaine prend de plus en plus les allures de la récession de 1981-1982, qui fut importante, ici les effets néfastes se font encore attendre, ce qui est très atypique. Pourquoi? Peut-être est-ce dû au fait que ce ralentissement appréhendé trouve sa source purement à l'extérieur de notre économie? Peut-être est-ce que la campagne agressive de la Banque du Canada a limité les dégâts? Une chose est certaine, dans les circonstances, bien malin celui qui pourra prédire l'impact ultime de la récession américaine au Québec et au Canada.

Que faut-il faire?

Face à cette situation atypique, la prudence s'impose. Contrairement aux États-Unis où un ralentissement important ne fait pas de doute, l'ampleur ici demeure incertaine. Le risque de trop agir et d'hypothéquer notre avenir est une préoccupation qu'on ne peut évacuer. Cela est important de le souligner, d'autant plus que notre marge de manoeuvre financière est très limitée, puisque nous devons supporter une dette très lourde, héritage de 40 années d'un certain laxisme en matière de finances publiques.

Déjà, Québec a mis en place un programme d'investissements en infrastructures de 41,8 milliards de dollars sur cinq ans. Il s'agit d'une somme énorme, comparable en proportion au plan de stimulus américain. Dans ses actions, le gouvernement du Québec doit tenir compte de sa situation particulière. Compte tenu de l'incertitude actuelle, le gouvernement du Québec devrait préparer l'avenir en tenant compte de sa situation financière précaire. Le prochain budget attendu en mars devrait prévoir des mécanismes d'ajustements en cas d'aggravation de la crise. Par exemple, il devrait prévoir des mesures qui ne seraient mises en oeuvre que si le chômage devait s'accroître rapidement. Rien ne sert pour le moment de jouer au devin. Par ce budget, donnons-nous plutôt les moyens d'agir mieux et rapidement en cas de besoin.

Les auteurs sont professeurs à l'Institut d'économie appliquée, HEC Montréal; M. Boivin est également titulaire de la chaire de politique monétaire et marchés financiers, alors que M. Gagné est vice-président du Cirano.