Tout au long de sa campagne, mais aussi depuis son élection, Barack Obama a marqué l'intérêt qu'il porte à la recherche, à la science, ainsi qu'à la prise en compte de l'écologie ou des perspectives du développement durable pour faire face à la crise actuelle. Mais est-ce possible, est-il réaliste de parler ainsi?

En fait, la crise présente deux faces, qui appellent un traitement hautement contradictoire.

D'une part, la crise est datée, récente, elle commence avec les «subprimes», s'étend à toute la finance et, dans le monde entier, se prolonge par une crise économique et sociale. La plupart des analystes disent que de ce point de vue, le pire est devant nous.

 

Vue ainsi, elle appelle des mesures immédiates, ou à court terme: plans de relance ou de sauvetage, politique keynésienne, le tout placé sous le sceau du retour de l'État et du recours à plus de contrôles et de régulation.

Qui aurait envisagé, il y a deux ou trois ans, la nationalisation de grandes banques? Il s'agit de recréer la confiance, d'apporter des liquidités pour dégripper les rouages de l'économie qui se bloquent. Il s'agit aussi de sauver l'emploi, sinistré dans certains secteurs. Les effets des mesures adoptées doivent être immédiats ou très rapides.

Processus de mutation

D'autre part, la crise ne date pas des «subprimes», elle s'inscrit dans un processus de mutation qui relève de la plus longue durée, et au moins des 30 dernières années.

Elle vient révéler, exacerber ou accentuer aussi des changements considérables, aussi bien géopolitiques qu'internes, aux sociétés les plus touchées. Passage à un monde multipolaire, où les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont appelés à jouer un rôle important. Modifications des structures sociales aux États-Unis, où l'échec pour des millions de personnes qui ont cru possible, avec le crédit hypothécaire, de rejoindre les classes moyennes, qui se sont considérablement développées au sein des BRIC. Avec aussi, partout, l'extension de la précarité et du chômage, un phénomène qui n'existait pratiquement pas dans les trois décennies ayant suivi la Deuxième Guerre mondiale.

La crise vient également donner raison à ceux qui ont demandé, depuis le début des années 70, que l'on tienne compte de nouvelles valeurs, l'écologie, l'environnement, la prise en considération de la diversité humaine, et que l'on témoigne de davantage de solidarité, au sein de nos sociétés, entre elles, et vis-à-vis des générations à venir.

Changer d'ère

En un mot, la crise est venue nous dire que le système actuel est épuisé, et pas seulement du fait de ses dérives financières, et qu'il est grand temps de changer d'ère.

En palliant les pires catastrophes du moment, les gouvernements espèrent sauver le vieux système, lui redonner un souffle. En tout cas, ils ne semblent guère se projeter vers l'avenir.

S'il s'agit de relancer l'immobilier, par exemple, ils ne proposent pas une réflexion sur la ville, l'urbanisme, l'architecture, les matériaux, le chauffage. Ils ne mettent pas en place une politique de recherche qui permettrait de penser autrement cet enjeu.

S'il s'agit de l'industrie automobile, ils apportent des aides indépendamment des types de transport qu'il s'agit de promouvoir. General Motors pourra continuer à construire des 4X4, aussi ravageurs qu'ils soient pour l'environnement.

Mais pour passer à de nouvelles orientations, changer de système, il faut du temps. Le risque est de laisser de côté les questions pressantes de l'emploi et du niveau de vie.

Trancher dans ce dilemme est difficile. Mais prétendre articuler les deux exigences, n'est-ce pas risqué de produire un discours mythique, qui concilie de façon imaginaire ce qui ne peut l'être dans la réalité? Au moins, nous pouvons remercier Barack Obama de tenter, tout à la fois, de sauver l'économie présente, tout en promouvant des efforts contre-cycliques, qui visent le long terme.

L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.