Les libéraux de Jean Charest ont fait grand état, au cours de la campagne électorale, du cas des 4000 infirmières encouragées à prendre une retraite anticipée en 1997. Ce programme avait permis de se sortir d'un gouffre financier causé par un déficit de 6 milliards hérité du gouvernement Bourassa et une coupure de plus de 3 milliards en paiement de transfert du fédéral.

Mais il faut se rappeler qu'une telle mesure était à l'époque souhaitée par tous les intervenants. Le Québec se retrouvait en surplus d'infirmières et la majorité des graduées de l'époque n'arrivait pas à se trouver un emploi. Le départ à la retraite a permis d'embaucher ces nouvelles infirmières qui forment maintenant le noyau de notre système de santé. Imaginons un instant le marasme dans lequel nous nous trouverions si cette relève n'avait pu être engagée.

 

Mais c'est plutôt la situation actuelle qui doit nous préoccuper. Le réseau public a perdu quelque 2000 infirmières qui se sont tournées vers le marché florissant des agences privées. Ces agences offrent des conditions de travail attrayantes puis vendent leur service au réseau public en pénurie. Un cercle vicieux s'est installé alors que les infirmières épuisées et contraintes aux heures ingrates quittent pour les agences privées qui comblent les meilleurs créneaux horaires, laissant les infirmières du réseau assumer des heures et des conditions de plus en plus difficiles.

Et tout cela à grands frais pour le réseau: coût élevé des agences mais aussi coûts importants en heures supplémentaires et en congé de maladie dus à l'épuisement des troupes. Un sondage réalisé par l'Ordre des infirmiers et infirmières du Québec auprès des infirmières des agences privées démontre que leur départ du réseau public est motivé essentiellement par les conditions de travail et les horaires. Qu'on se rappelle qu'en décembre 2005, le gouvernement a choisi de couper court à la négociation et a fixé les conditions de travail des infirmières par décret en faisant fi de leurs revendications légitimes.

Véritable hémorragie

Et il y a pire. Depuis 2003, plus de 8000 infirmières ont quitté le réseau pour prendre leur retraite, et cela, en moyenne à 59 ans. Il y a là une véritable hémorragie qui emporte non seulement une main-d'oeuvre qualifiée, mais aussi tout un capital d'expertise et d'expérience. Prenons exemple sur la Finlande qui a mis en place un programme innovant comportant une réduction des heures de travail, une augmentation des jours de vacances et des primes de prestation de retraite pour les personnes retardant leur départ. Plusieurs infirmières pourraient être incitées à prolonger leur carrière avec de telles conditions incitatives.

La situation est semblable au niveau des médecins. Malgré les augmentations graduelles des admissions en médecine depuis une dizaine d'années, les pénuries sont plus difficiles à combler. On observe depuis deux ans un exode des finissants qui préfèrent poursuivre leur formation en résidence à l'extérieur du Québec. Plus de 150 finissants ont ainsi pris le chemin de l'Ontario principalement, non seulement en spécialités, mais aussi en médecine de famille. Raisons: différence salariale de plus de 15 000$, contraintes trop importantes quant au choix de la spécialité et au lieu éventuel de pratique.

Loin de moi l'idée d'abolir les plans d'effectifs médicaux mais on observe ici un surdosage d'un traitement certes efficace, mais qui donne maintenant des effets néfastes. Ces départs ne servent ni le Québec ni les régions. Il faut revoir les conditions de travail et de pratique des jeunes médecins pour stopper cette spoliation. Au lieu de cela, le gouvernement fait pression sur les facultés de médecine pour augmenter davantage les admissions, ce qui compromet maintenant la qualité de la formation; le Québec ayant atteint le maximum de sa capacité de formation médicale, compte tenu des ressources et des milieux cliniques disponibles.

En sciences infirmières comme en médecine, il est grand temps d'examiner le problème des pénuries sous l'angle des conditions de travail et d'exercice pour retenir dans notre réseau public les professionnels formés à grands frais.

Quand la baignoire est percée, il est idiot d'ouvrir le robinet, il est plus sage de boucher les trous.

Hébert, Réjean

L'auteur est chercheur émérite au Réseau québécois en santé des populations et doyen de la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke. Il était candidat du Parti québécois lors des dernières élections provinciales.