Les résultats de sondages montrant que la santé constitue la priorité des Québécois ont amené certains observateurs à avancer que Jean Charest avait peut-être commis une erreur en misant d'abord sur l'économie lors des présentes élections.

Une analyse de l'enquête CROP suggère que ce n'est pas le cas. L'enjeu de l'économie favorise largement les libéraux et il est donc de bonne guerre pour ce parti d'insister sur cette question. Les données de la même enquête suggèrent que le débat sur la santé pourrait également favoriser, mais dans une moindre mesure, le parti de Jean Charest.

 

Deux conditions doivent être réunies pour qu'un enjeu exerce une influence significative lors d'une élection. Il faut d'abord qu'une question soit importante pour un nombre significatif d'électeurs. Il faut ensuite, et l'on oublie souvent ce facteur, que les électeurs considèrent qu'un parti est plus apte que les autres à s'occuper de ce problème.

Pour exercer une influence significative sur le vote, un enjeu doit donc être à la fois important et discriminant. Qu'en est-il des enjeux débattus lors des présentes élections au Québec? Deux questions se démarquent, selon une récente enquête CROP: la santé, choisie par 32% des électeurs, et l'économie, retenue par 27% des répondants. Suivent ensuite l'environnement (10%), l'éducation (8%) et la pauvreté (6%).

La question clé est de savoir si les électeurs font davantage confiance à certains partis pour s'occuper de ces enjeux. On peut mesurer ces perceptions de deux façons. L'une, plus directe, consiste à demander aux électeurs leur avis sur la compétence des chefs ou des partis. Dans l'enquête CROP, par exemple, on a posé la question suivante: «À quel chef politique faites-vous le plus confiance pour prendre les meilleures décisions en période de difficultés économiques?» Les réponses obtenues montrent que Jean Charest dispose d'un net avantage sur l'enjeu de l'économie. Près de la moitié des répondants, soit 46%, ont opté pour le chef libéral, contre 24% pour Pauline Marois et 10% pour Mario Dumont.

Les autres enjeux

Qu'en est-il des perceptions à propos des autres enjeux? Une approche plus indirecte pour les mesurer consiste à examiner les intentions de vote en fonction des priorités des électeurs. Chez les électeurs (27%) ayant fait de l'économie leur priorité et ayant exprimé une intention de vote, l'avance du Parti libéral est considérable. Pas moins de 62% de ces électeurs optent pour le PLQ, contre seulement 24% pour le PQ et 9% pour l'ADQ. Dans le groupe le plus nombreux, soit les 32% d'électeurs ayant opté pour la santé, le Parti libéral domine encore avec 41% d'appuis, contre 31% pour le PQ et 16% pour l'ADQ. Qui plus est, la satisfaction envers le gouvernement dans ce groupe atteint 58%, un niveau pratiquement semblable à celui observé dans l'ensemble de la population (59%).

L'impact des enjeux autres que la santé et l'économie pourrait être assez limité. Les proportions d'électeurs optant pour ceux-ci sont plutôt faibles (10% ou moins) et le succès d'estime remporté par les petits partis à propos d'enjeux comme l'environnement (26% des électeurs préoccupés par cette question optent pour le Parti vert) ou la pauvreté (12% d'appuis à Québec solidaire dans ce groupe) limite la capacité des grands partis à se démarquer sur ces questions.

Ces chiffres suggèrent qu'un débat plus appuyé sur la santé dans l'actuelle campagne, loin de défavoriser le PLQ, pourrait même lui être bénéfique, quoique son avantage sur cette question soit sensiblement moins marquée que pour l'économie. On peut donc conclure que le Parti libéral a fait le bon choix stratégique en misant sur l'économie, mais qu'il commettrait une erreur tactique en négligeant d'adopter une position forte dans le débat sur la santé.

Richard Nadeau Et Angelo Elias

M. Nadeau est professeur titulaire au département de science politique de l'Université de Montréal et M. Elias est étudiant au doctorat au département de science politique de l'Université de Montréal.