C'est un véritable tremblement de terre politique et économique qui vient de se produire en Chine. L'équivalent de l'immense réforme que Deng Xiaoping avait entreprise en 1978 et qui a amené la Chine au niveau de développement qu'on lui connaît aujourd'hui.

Les dirigeants du pays veulent redonner aux paysans chinois la propriété de leurs terres. Étant donné les sensibilités locales et la faiblesse du gouvernement central, la réforme devrait s'étendre graduellement sur quelques années.

Cette propriété avait été ôtée aux paysans au début des années 50, dans la foulée de la prise du pouvoir par le Parti communiste de Mao. À l'époque, la nationalisation des terres avait pour objectif officiel de protéger les paysans contre l'exploitation des riches propriétaires fonciers. Dans les faits, elle fut utilisée pour réinvestir les surplus agraires dans le développement de l'industrie. Depuis, la propriété des terres agricoles était demeurée un des grands dogmes du régime communiste. Au début des années 80, une grande réforme agraire avait donné aux paysans le droit de faire des profits avec une partie de leurs récoltes, mais ces derniers n'étaient toujours pas propriétaires de leurs terres. Ils la louaient pour de longs baux d'environ 30 ans.

La propriété étatique des terres agricoles a provoqué de très nombreux problèmes. Par exemple, les maires des villes et des villages pouvaient très facilement exproprier les paysans de leurs terres sans leurs donner de véritables compensations monétaires, pour construire, des routes, des usines ou des projets municipaux. Ceci favorisait le magouillage et donnait aux édiles locaux un pouvoir immense. Faute d'être pleinement propriétaires de leur lopin de terre, les paysans hésitaient à investir pour le développer à long terme.

La donne change

Or, la donne vient de changer. Désormais, les paysans pourront ou non décider de vendre leurs terres, ce qui à long terme devrait induire une pression à la hausse sur leur valeur. Parce qu'ils seront propriétaires de leurs terres, ils pourront les hypothéquer et emprunter à la banque l'argent nécessaire pour les développer. Les citadins qui voudront une maison de campagne pourront désormais en acheter une. Les usines qui voudront délocaliser une partie de leur production dans des zones intérieures du pays pourront le faire sans obtenir l'aval des autorités locales.

L'élimination de toutes ces barrières devrait susciter une explosion du développement économique dans les régions rurales. L'argent investi par les paysans va provoquer une hausse de la demande pour les produits agricoles comme les tracteurs, les engrais, le ciment, etc. (...)

Cette réforme agraire aura des impacts sur plusieurs autres aspects de l'économie chinoise qu'il est difficile de mesurer pour le moment. Ainsi, étant donné ces nouveaux investissements locaux, il est possible que les paysans décident de demeurer dans leur patelin plutôt que de partir travailler en ville. Ceci pourrait freiner l'exode rural massif que connaît la Chine depuis 30 ans.

Mais alors, quel sera l'impact de la diminution du flot de travailleurs de l'extérieur sur les grandes villes? Les salaires devront-ils être augmentés? L'enrichissement des paysans favorisera-t-il l'implantation universelle de nouveaux programmes d'assurance maladie, d'assurance-chômage et de régimes de retraite? Les infrastructures de transport, d'énergie, ou d'eau potable pourront-elles soutenir un développement rural accéléré, alors même qu'elles peinent à satisfaire la demande actuelle? L'environnement se dégradera-t-il davantage?

Ces questions demeurent encore sans réponse, mais dans la mesure où le gouvernement chinois parviendra à dompter l'élan de la nouvelle politique agricole, la Chine devrait entrer dans une nouvelle ère de prospérité économique. Beaucoup d'espoirs sont placés dans cette politique, surtout à un moment où les exportations et les investissements étrangers pourraient chuter en raison de la crise économique mondiale. (...)

L'auteur est politologue et spécialiste de la Chine