Que peut faire Stephen Harper pour conquérir le Québec? En dépit de sa reconnaissance de la nation québécoise, de son octroi d'un siège à l'UNESCO et de ses cours intensifs de français, ses espoirs de gouvernement majoritaire se sont effondrés sous le poids de deux annonces portant sur la culture et les jeunes contrevenants. Trois ans de travail se sont envolés en fumée. Les frustrations des conservateurs sont palpables de Calgary à Montréal.

Pourquoi les Québécois lui ont-ils tourné le dos? Le problème est plus profond que les erreurs faites durant la campagne électorale. Il s'agit d'un clivage entre les Québécois et les conservateurs sur le rôle de l'État. Au fil des ans, l'État québécois est devenu protecteur non seulement de la culture et des industries québécoises, mais également de l'identité nationale. S'attaquer à l'État est ainsi perçu comme étant une attaque contre la société québécoise elle-même.

Pour les conservateurs, non-étatistes de nature, ceci représente un grave problème. L'unique solution à long terme serait d'inciter les Québécois à adhérer aux valeurs conservatrices. On voit certains courants se développer, mais ceci reste un projet de longue haleine.

À court terme, quelles sont les options? S'identifier aux valeurs québécoises existantes? Les conservateurs risquent de se diviser, comme ils l'ont fait avec la naissance du parti réformiste. Des candidats ministrables? Apparemment non: Michael Fortier retourne au secteur privé. Un successeur québécois à Harper? Peut-être, si on prend l'exemple de Brian Mulroney, mais on ne voit aucun candidat sérieux à l'horizon.

Ou bien une solution radicale s'impose: un accord de non-agression entre les conservateurs et les libéraux dans des circonscriptions du Québec où le poids de leur vote commun dépasse celui du Bloc. Les fédéralistes suivraient ainsi la logique selon laquelle les réformistes et les progressistes conservateurs sont parvenus à regagner le pouvoir au Canada anglais en mettant fin à la division de leur vote, face à un ennemi commun.

Un risque à prendre

Certes, le risque est qu'un tel accord enrage les souverainistes qui accuseraient les fédéralistes de leur voler les élections. Cette stratégie réanimerait potentiellement la cause de la séparation du Québec. Mais c'est peut-être un risque à prendre pour les 61% des électeurs québécois qui n'ont pas voté pour le Bloc.

Car le grand danger maintenant, c'est le «backlash» au sein du mouvement conservateur dans le Canada anglais. Sans le Québec, se disent-ils, on serait un gouvernement majoritaire - d'un pays plus faible, mais d'un pays quand même. Sans le Québec, on gouvernerait à notre manière, sans compromis. Déjà, avant les élections, un de mes amis, stratégiste ontarien du «war room» conservateur, m'avait avoué qu'il aimerait bien être capable de voter pour le Bloc, histoire de faciliter la rupture du Canada et de permettre aux conservateurs de gouverner. J'ai l'idée qu'il n'est pas le seul à partager ce sentiment au lendemain des élections.

Et le nouveau gouvernement agira en conséquence. Plus question de cadeaux pour le Québec. Plus question de doter la région de Montréal d'un ministre non élu. Plus question de tendre la main aux électeurs québécois. Résultat: une marginalisation du Québec au sein de la fédération canadienne.

Ainsi, le dilemme des conservateurs au Québec ne concerne pas uniquement leurs partisans, mais l'ensemble des Québécois. Quelle sorte de pays voulons-nous? Quel rôle veut-on jouer? Peut-on permettre à la dominance du Bloc de se perpétuer d'élection en élection? Ou devons-nous nous prendre en main et chercher d'autres solutions dans l'intérêt de la majorité des Québécois qui n'ont pas voté pour le Bloc?

Mme Kheiriddin est coauteure de «Rescuing Canada's Right: Blueprint for a Conservative Revolution», publié en 2005. Elle donne un cours sur le conservatisme nord-américain à l'Université McGill.