Le plan de sauvetage des banques préparé par l'administration Bush a été rejeté, hier après-midi, par le Congrès américain. On finira bien par trouver un compromis qui, il faut l'espérer, permettra d'éviter le pire, rapidement si possible, lentement s'il le faut. Le succès n'est pas acquis et l'impact réel du plan reste à déterminer. Mais ce qui est déjà évident, c'est que la crise financière aux États-Unis et la réponse que l'administration américaine a choisi d'y apporter auront des conséquences idéologiques majeures.

Certains discours dominants deviendront difficiles, voire impossibles, à tenir. Ainsi, on ne pourra plus faire l'éloge sans nuance du laissez-faire, des lois du marché et de la déréglementation. On ne pourra pas, non plus, continuer à prôner encore et toujours une réduction du rôle de l'État car celui-ci vient d'opérer un retour en force dans le rôle d'ultime recours et de sauveur potentiel. Certains élus républicains à la Chambre des représentants ont flairé le danger. Ils ont cherché, mais en vain, une alternative au plan Paulson. Le plan qu'ils appelaient de leurs voeux aurait fait la part plus belle au secteur privé et moins belle au gouvernement. Pour eux, le plan Paulson représentait un dangereux glissement sur la pente du socialisme.

Dans l'opinion publique, il sera extrêmement difficile de contenir sans parler de réduire l'hostilité aux institutions de crédit et aux marchés financiers. Le plan de sauvetage qui a été rejeté risquait même de nourrir cette hostilité car, à la colère de l'épargnant ruiné, s'ajoute celle du contribuable à qui on demande effectivement de sauver les responsables de la crise. L'un et l'autre condamnent avec la même véhémence des institutions financières qui ont rejeté une meilleure réglementation par idéologie, ont consenti des prêts insensés par cupidité ou par incompétence et, si les enquêtes du FBI le confirment, se sont même livrés à des opérations frauduleuses. Pour eux, l'État n'est pas d'abord un sauveur potentiel, mais d'abord et surtout un des coresponsables du marasme actuel. C'est à lui qu'il appartenait de mettre en place, à temps, les garde-fous nécessaires.

Dans cette période de crise, l'administration américaine ne pourra pas compter sur le soutien ni sur l'indulgence de ses partenaires du G7. Les Européens dénoncent depuis longtemps le refus des autorités américaines de mieux réglementer les marchés financiers. À la tribune des Nations unies, Nicolas Sarkozy n'a pas mâché ses mots. Le ministre allemand des Finances a été encore plus brutal en disant que cette crise était le résultat d'une politique de laissez-faire irresponsable. Le déclin de l'influence américaine, déjà observable dans bien des domaines, risque maintenant de s'étendre au secteur financier.

Le procès à faire aujourd'hui c'est celui d'un capitalisme financier dont les excès sont à l'origine de la crise actuelle. Ce procès n'est pas celui de l'économie de marché, mais il sera difficile d'éviter les dérapages. Il y a un vrai risque de voir le bébé partir avec l'eau du bain. L'histoire récente nous l'enseigne. Le procès du communisme qu'on a fait après la chute du mur de Berlin, a profondément secoué tous les partis socialistes, même les plus modérés et certains tardent encore à s'en remettre.

Le discrédit, qui pendant un temps a frappé tous les discours de gauche, risque aujourd'hui de frapper tous les discours de droite. Ceux qui, hier, n'ont pas jugé nécessaire de dénoncer les excès pourtant manifestes d'une certaine forme de capitalisme chercheront peut-être en vain la crédibilité dont ils auront besoin pour défendre, demain, le capitalisme lui-même.

Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM (m.bernard-meunier@cerium.ca).