La situation sécuritaire en Afghanistan se dégrade, dit-on, et menace les fragiles acquis obtenus par la coalition internationale et le gouvernement afghan depuis sept ans. Ce n'est pas faux, mais la réalité est plus complexe. L'Afghanistan a fait des progrès considérables depuis la chute des talibans, et ni les forces internationales ni le gouvernement ne vont s'effondrer sous les coups d'une quelconque offensive des rebelles. Ce qui menace la mission, c'est l'incapacité de nos dirigeants à dire la vérité à son sujet.

La première victime de la guerre est la vérité. Et la vérité, en Afghanistan, il semble que nos dirigeants aient de la difficulté à l'exprimer. Prenez la France, par exemple. Depuis plus d'un mois, le gouvernement de Nicolas Sarkozy est plongé dans une controverse sur la mort de 10 de ses soldats, le 18 août, aux mains des talibans. À chaque étape de cette affaire, le ministère de la Défense et l'état-major des forces armées ont été incapables de faire preuve de transparence et d'ouverture afin d'expliquer clairement le déroulement des événements. Immédiatement après l'attaque, le gouvernement a fait savoir que les soldats étaient tous morts durant les combats lors d'une embuscade. Le président s'est précipité sur les lieux, le ministre de la Défense a fait barrage aux questions gênantes en déclarant que «les soldats étaient des héros, morts pour la France et pour la liberté». Il n'y avait rien à voir, dégagez.

 

Puis, les langues ont commencé à se délier, l'information à circuler: la mission a été mal planifiée, les secours ont mis du temps à arriver, les armes ont manqué. Pire encore, des soldats auraient été capturés et exécutés au couteau. Comment a réagi le gouvernement? Comme c'est trop souvent l'habitude en temps de guerre: tout cela est faux, de toute façon on ne peut rien dire, c'est «secret défense», dégagez. Mais l'émotion était trop forte en France pour que l'opinion claque des talons et salue. Le ministre de la Défense a été obligé d'admettre la mort d'au moins un soldat à l'arme blanche. Pourquoi avoir attendu avant de dire la vérité, a-t-on demandé? À cause de l'ennemi, qui connaît nos faiblesses et cherche à faire douter les Européens, a répondu le ministre. Et il a juré que tout avait maintenant été dit.

Mensonges et désinformation?

Est-ce bien vrai? Le Globe and Mail vient de révéler des informations préliminaires d'un rapport de l'OTAN sur les circonstances entourant la mort des soldats français qui ajoutent à la suspicion. Dans une première réaction, le gouvernement français a nié l'existence du document. Puis, le premier ministre, François Fillon, a déclaré lundi lors d'un débat spécial au Parlement sur la présence française en Afghanistan que ce n'était pas un rapport, mais un message, partiel, et que de toute façon la situation était «suffisamment cruelle sans ajouter des mensonges et de la désinformation» en parlant des renseignements du journal canadien. Ces propos excessifs ne peuvent faire oublier la tentative de camouflage de son gouvernement sur les circonstances entourant la mort des soldats français.

L'attitude de Paris dans cette affaire n'est pas particulière à la France. Au Canada, aux États-Unis et dans plusieurs pays occidentaux ayant des troupes en Afghanistan, la vérité sur ce qui se passe sur le terrain semble difficile à dire. À chaque coup dur, les dirigeants, craignant les réactions de l'opinion publique, refusent l'effort pédagogique d'expliquer les enjeux profonds de la présence internationale en Afghanistan et se rabattent sur les arguments convenus, à savoir protéger les droits humains, la démocratie et l'accès aux écoles pour les petites Afghanes. Nos dirigeants ne semblent pas comprendre que ces arguments ne fonctionnent pas puisque l'opinion publique est majoritairement contre la mission, et ce, depuis plusieurs années.

Il est grand temps d'utiliser une autre stratégie envers l'opinion publique occidentale. La transparence et la vérité devraient en être le coeur. Elles permettraient de renforcer le succès d'une mission difficile, mais combien nécessaire.

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CÉRIUM de l'Université de Montréal. Il séjourne à Kaboul grâce à un financement de l'OTAN. (j.coulon@cerium.ca)