Dans son budget 2010, le ministre Raymond Bachand a souligné la nécessité «d'assurer le financement de notre système de santé publique et d'agir de manière structurante pour en améliorer la performance». Pour atteindre ces objectifs, le ministère des Finances a présenté une nouvelle taxe (appelée une contribution) individuelle ainsi que proposé un ticket modérateur; deux politiques publiques ne faisant pas l'unanimité parmi les citoyens ni les professionnels de la santé.

Alors que cette taxe apporterait sans doute une nouvelle source de financement, elle ne vise aucunement l'inefficacité du système de santé ni le contrôle de la hausse des coûts. En revanche, un ticket modérateur amènerait une source additionnelle de revenu et affecterait aussi l'utilisation des soins de santé, la santé des gens et les dépenses en matière de santé, mais pas nécessairement de façon désirée.

Bien que peu de gens soutiennent l'idée d'un ticket modérateur au Québec, il a néanmoins un certain potentiel d'améliorer l'efficacité du système de santé. Plus spécifiquement, une telle politique pourrait être structurée de manière à encourager les patients à utiliser les services à moindre coût (par exemple, consulter un médecin en CLSC ou en clinique sans rendez-vous plutôt qu'en salle d'urgence). Si le ticket modérateur réussissait à encourager une telle prise de décision, les ressources libérées pourraient être utilisées ailleurs dans le système.

Par contre, si le ticket modérateur amenait une réduction trop importante de la consommation de soins de santé, cette réduction à court terme pourrait (comme le croit le Dr Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec), mener à une augmentation des dépenses à long terme si la santé des gens ne s'améliore pas ou se complique.

Alors, que savons-nous au sujet des effets des tickets modérateurs sur la consommation des soins de santé, sur leurs coûts ainsi que sur la santé des gens? Plusieurs études québécoises et américaines publiées à ce sujet démontrent qu'ils ont un effet non négligeable sur la consommation de soins de santé.

Plus spécifiquement, les tickets modérateurs sont associés à une réduction dans le nombre de consultations auprès des professionnels de la santé, et ce, sans effets néfastes sur la santé pour la majorité des individus.

Cependant, la santé de certains individus -entre autres, les moins nantis, les personnes âgées et ceux ayant certaines maladies ou conditions chroniques- peut être affectée négativement par un tel ticket.

Par conséquent, certains groupes d'individus pourraient être exemptés si de tels effets doivent être évités. Mais, puisque ces groupes sont précisément ceux qui consomment la majorité des services de santé, leur exclusion nierait tous impacts potentiels sur l'utilisation excessive des soins de santé et sur ses coûts.

Par ailleurs, ces études démontrent que les tickets modérateurs (tout en réduisant le nombre de consultations auprès de professionnels des soins de santé) n'ont pas d'impact sur le nombre et le type de soins reçus une fois que le patient a consulté le médecin. Puisque les médecins ne sont pas visés par le ticket modérateur malgré le fait qu'ils prennent en grande partie les décisions en matière d'utilisation des soins de santé (et donc les coûts totaux), l'introduction d'un ticket modérateur risque d'avoir peu d'impact sur les dépenses en matière de santé.

Alors, compte tenu de son potentiel limité à augmenter les recettes ou à améliorer la performance du système de santé, est-ce qu'il existe des alternatives qui pourraient encourager une meilleure utilisation des ressources attribuées au système?

La pratique des médecins au Québec est payée à l'acte, c'est-à-dire, payée pour chaque consultation et/ou service qu'il ou elle fournit.

Alors, en modifiant la façon dont nous payons les médecins, pourrions-nous obtenir un système plus performant? Le revenu des médecins est directement lié au nombre de services offerts. Il n'est donc pas surprenant que le Dr Gaétan Barrette, président de la Fédération de médecins spécialistes du Québec) soit opposé à «mettre un frein à l'utilisation des services» puisque cela mettrait aussi un frein au revenu de ses confrères et consoeurs!

Par ailleurs, dans un tel système, un médecin qui dispense des soins de haute qualité et qui réussit à prévenir ou bien gérer les maladies chroniques de ses patients gagnerait moins qu'un autre, donc la pauvre qualité de ses soins amènerait à des consultations additionnelles! Améliorer la performance du système de santé en récompensant ceux qui offrent des soins de haute qualité -et non seulement ceux qui ont un grand volume- devrait être une priorité pour toute société cherchant à utiliser efficacement ses ressources en matière de santé.

Des dizaines d'études publiées démontrent de façon concluante que le niveau et le mode de rémunération des médecins, tels que le paiement à salaire ou à forfait, ont un impactsur leur prise de décision, l'utilisation des services et les coûts. Toutefois, la preuve est moins claire en ce qui concerne l'impact de ces politiques sur la qualité des soins et la santé des patients.

Comme les politiques affectant le comportement des patients (tel qu'un ticket modérateur), des politiques visant les médecins et les hôpitaux sont susceptibles d'avoir un ensemble complexe de conséquences.

Alors qu'il est impératif de considérer de telles politiques, nous croyons qu'il faudra une combinaison de plusieurs politiques pour atteindre l'ensemble des buts du modèle québécois.

Tel que discuté ci-dessus, un ticket modérateur jouerait directement sur la prise de décisions des patients concernant les services de soins de santé à consommer. Par contre, compte tenu de leurs années de formation médicale et de leur préoccupation inhérente pour la santé de leurs patients, les médecins sont souvent dans une meilleure position pour prendre de telles décisions. Leur capacité à influer la quantité et les types de services de santé offerts leur accorde aussi une influence directe sur la performance et les coûts des soins de santé. Par conséquent, il semble tout à fait nécessaire que les politiques en matière de santé ciblent cette influence plutôt que cibler les patients.

Le gouvernement du Québec fait face à un immense défi d'améliorer le système de soins de santé. Un ticket modérateur de 25$ et une contribution individuelle de 200$ ne feront rien pour assurer la viabilité à long terme du système et une attention plus songée est nécessaire si nous voulons un système pouvant offrir des soins de santé de haute qualité à des coûts raisonnables.