Petit avion d'Air Inuit -ou train- vers la petite ville désolée de Schefferville où aucune route ne mène. Puis, après une heure vingt d'hydravion et un paysage d'épinettes, de pierres, de ruisseaux, de lacs et de rivières à l'infini, nous atterrissons sur la rivière George, au nord du 56e parallèle.

C'est le 5e Séminaire nordique autochtone organisé par Aventures Ashini et les Amis du Mushuau-Nipi, en collaboration avec l'Institut du Nouveau Monde.

J'ai le privilège de co-présider l'événement avec Ghislain Picard, chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Elizabeth et Serge Ashini, Jean-Philippe L. Messier et les participants déjà arrivés nous accueillent sur la rive en nous serrant dans leurs bras. Des tipis nous sont alloués qui nous abriteront durant la semaine.

Le lieu du rassemblement n'est pas anodin : c'est un lieu historique. Ici vibre la mémoire du peuple Innu, dans le vent qui fait battre les toiles écrues des tentes, dans l'eau profonde de la vaste rivière George et dans l'immense paysage de la toundra forestière qui nous entoure.

Les Innus s'y sont rassemblés chaque année durant des siècles pour le passage d'un des plus grands troupeaux de caribous au monde. Le sol sous nos pieds porte encore la trace de leurs campements, de leur histoire et de leur âme.

C'est dans ce contexte exceptionnel qu'ont lieu chaque jour les ateliers ayant pour thème «Protection du territoire et revendications autochtones», ainsi que la célébration de la récente mise en réserve pour la protection éventuelle de la rivière George par le gouvernement du Québec.

Dans la tente principale, les discussions animées sont ponctuées par les festins préparés par Suzann Méthot et Elizabeth Ashini qui, chaque jour, cuit pour nous la banique, ce compact pain autochtone. Aux menus, le caribou abattu par Serge dans la rivière et ramené en canot, les longues truites grises et les saumons dont les eaux de la région regorgent encore, leurs oeufs revenus à la poêle, les outardes qu'on plume et dont le duvet blanc vole et s'agrippe aux lichens comme une première neige.

Lors des ateliers, différents points sont librement abordés, dont le récent Plan Nord, qui vise le développement du Nord et tient trop peu compte des Premières Nations; la difficulté d'un consensus au sein même de celles-ci; les contextes politiques québécois et canadien souvent peu propices au dialogue avec les Premières Nations; le peu de reconnaissance des titres aborigènes; le non-respect de certains engagements gouvernementaux; la déclaration de l'ONU sur les droits des peuples autochtones que le Canada n'a toujours pas signée

Il sera aussi question de la nécessité pour le gouvernement du Québec de consulter les autochtones en amont des planifications liées au développement territorial du Québec et de l'obligation de protéger ce qui doit être protégé avant de développer ce qui doit être développé. J'apprends que, même quand un territoire est déclaré aire protégée, l'exploitation minière a encore priorité sur sa protection.

Une trentaine de participants sont présents à ces ateliers, dont des représentants des Premières Nations, des géographes, des environnementalistes, des responsables de pourvoiries et des politiciens courageusement atterris parmi nous pour l'ensemble du séjour ou pour quelques heures, certains fervents défenseurs de la cause autochtone, d'autres plein de bonne volonté mais peu informés, d'autres campés sur leur position. Mais, dans ce cadre privilégié, tout le monde se parle et s'écoute.

Le géographe Louis-Edmond Hamelin, 86 ans, inventeur du concept de la nordicité, nous rejoint à la fin du séminaire. C'est pour lui un retour ému sur les rives de la rivière George près de 30 ans après le tournage du film de Pierre Perreault «Au pays de la terre sans arbre ou le Mouchouânipi». Avec une mémoire étonnante et un esprit aussi clair que l'air ambiant, ce sage érudit partage avec nous sa vision et sa passion du Nord et du territoire.

Les autochtones présents, Innus, Abénaquis et Wendat, expriment avec émotion leur sentiment de ne pas exister, la perte des racines, et cette quête identitaire qui donne un sens au territoire et la force de lutter pour le protéger. Ils font part de l'urgence de créer les conditions pour répondre aux besoins essentiels de leurs communautés en matière d'éducation, de logement et de santé et souhaitent la prise en compte des valeurs autochtones par les dirigeants.

Ensemble, on explore des pistes de solutions : une députation autochtone au sein du gouvernement et la création d'alliances entre les différentes nations et communautés et entre autochtones et non autochtones, pour éviter le « diviser pour régner » trop souvent pratiqué par les décideurs.

De façon générale, les participants jugent improbable que les solutions et la réconciliation viennent uniquement du politique. Le mouvement doit aussi venir de la population qu'il faut donc informer pour contrer les préjugés et les idées préconçues.

Pour Ghislain Picard, chargé de veiller sur les Premières Nations du Québec et du Labrador, il faut d'abord reconnaître le territoire, les titres et les valeurs autochtones et travailler en concertation pour en arriver à protéger et à développer ensemble le territoire de façon durable.

Nous devons entendre ce que les Premières Nations ont à nous dire.

Quel avenir pouvons nous créer, ensemble, dans le respect des Premières Nations et de nos identités respectives? Quels rêves avons-nous en commun?

Les prévisions de M. Hamelin sont prudentes. Selon lui, on ne verra pas l'apparition d'un dialogue soutenu et d'un pouvoir partagé avec les Premières Nations avant 2100...

Le soir tombe sur le campement. Le séminaire touche à sa fin. Tshakapesh, la marionnette géante animée par Jean, Anne-Marie et Shanne, Innus de Uashat-Maliotenam, raconte la création du monde, quand la terre et ses merveilles appartenaient à tous, tandis que la tente de sudation, conduite par Evelyne, nous relie intimement à nous-mêmes et au cosmos. Une aurore boréale se déploie au dessus du Mushuau-Nipi.

Une lune immense et orangée monte lentement sur ce paysage mythique.

Rien à envier aux hôtels cinq étoiles, d'autant que ces dernières brillent et filent par milliers au-dessus de nos têtes. De quoi faire mille souhaits en silence. Je fais celui de revenir bientôt ici avec mes enfants et les enfants de mes enfants pour qu'ils se mêlent aux enfants des Premières Nations et, qu'ensemble, ils construisent leur Avenir.