L'annonce de la création d'un nouveau front commun réunissant les principaux acteurs du milieu syndical québécois (FTQ, CSN, SISP) en vue de la prochaine ronde de négociations dans les secteurs public et parapublic vient mettre en relief la différence qui subsiste entre les organisations patronales et syndicales au Québec au niveau de leurs choix stratégiques.

Alors que les centrales syndicales n'hésitent pas à enterrer la hache de guerre afin de mener des batailles communes sur certains enjeux d'importance pour leurs membres, les associations d'affaires choisissent, sauf exception, de faire cavalier seul et de se faire compétition. Pourtant, ces groupes auraient tout intérêt à s'inspirer de l'approche des syndicats et à faire plus fréquemment front commun dans certains dossiers-clés afin de maximiser leurs gains politiques.

L'histoire récente démontre que cette stratégie peut se révéler payante pour les associations d'affaires. En mai 2007, confrontés à la possibilité que soit défait à l'Assemblée nationale un budget provincial comprenant plusieurs mesures très favorables aux entreprises québécoises (l'élimination de la taxe sur le capital dès 2011, notamment), les quatre principaux regroupements patronaux du Québec (Conseil du patronat, Fédération des chambres de commerce du Québec, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Manufacturiers et Exportateurs du Québec) ont ainsi réussi avec succès à se coaliser et à faire pression sur les partis d'opposition afin que le budget soit adopté et que l'ensemble du milieu des affaires en sorte gagnant.

De même, la collaboration entre le CPQ et la FCCQ au sein du comité tripartite mis en place l'automne dernier par le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad, a permis le dépôt rapide du projet de loi 1 visant à atténuer les effets de la crise financière sur les régimes de retraite à prestations déterminées.

Les associations patronales québécoises se partagent un marché de membres et d'influence politique relativement restreint. Certaines représentent des entreprises issues de secteurs industriels spécifiques, alors que d'autres se disputent le titre de porte-étendard de l'ensemble du milieu des affaires québécois. Leurs ressources financières, bien qu'inégalement distribuées entre elles, restent globalement largement inférieures à celles de leurs opposants syndicaux, qui bénéficient d'avantages structurels non négligeables à cet égard (par le mode d'accréditation par simple signature de cartes de membres et par la formule Rand, qui permet le prélèvement obligatoire des cotisations syndicales chez tous les salariés appartenant à une unité d'accréditation, même chez ceux ne souhaitant pas adhérer au syndicat).

Dès lors, les groupes patronaux devraient privilégier davantage la coopération plutôt que la division et serrer les rangs devant certains enjeux qui préoccupent l'ensemble des entrepreneurs, quelle que soit leur taille, leur revenu ou leur secteur d'activité : abaissement des taux d'imposition des entreprises, allègement du fardeau réglementaire, amélioration de la formation et du développement de la main-d'oeuvre, contrôle des finances publiques, promotion de grands projets de développement économique, etc. Leur message serait ainsi moins diffus et obtiendrait assurément une plus grande résonnance auprès des élus.

Dans un contexte de morosité économique comme celui que nous connaissons présentement, la meilleure stratégie à adopter pour les associations représentant les entreprises québécoises, face au gouvernement et à leurs homologues syndicaux, consiste donc à faire preuve d'un certain oecuménisme patronal, en mettant de côté leurs intérêts corporatistes et en démontrant une plus grande solidarité. C'est l'ensemble du milieu des affaires au Québec (et de la société québécoise) qui en sortiraient gagnants.

L'auteur détient une maîtrise et un baccalauréat en science politique de l'Université de Montréal. Il s'est intéressé, dans le cadre de son mémoire, aux stratégies de recrutement et de lobbying des groupes d'intérêt québécois, et a déjà travaillé pour le Conseil du patronat du Québec.