Le vote pris plus tôt cette semaine par le Parlement européen en faveur de la fermeture des marchés de peaux de phoques du Canada a quelque peu assombri le sommet Canada-Union européenne qui a lieu à Prague. Ce sommet est l'occasion de lancer le début des négociations d'un accord de libre-échange entre Canada et l'Union européenne (UE).

L'Europe est le deuxième plus important partenaire commercial du Canada. En 2008, les échanges de biens et services entre l'UE et le Canada ont dépassé les 112 milliards de dollars canadiens et le montant des investissements s'est élevé à près de 420 milliards. On estime à environ 30 milliards les gains produits par un partenariat économique plus étroit entre l'UE et le Canada. Le gouvernement québécois a joué un rôle de premier plan dans le développement de ce projet de partenariat économique. Le Québec a non seulement utilisé sa position au sein du Conseil de la fédération pour forger des alliances provinciales autour d'un éventuel accord de libre-échange avec l'Europe, mais a aussi su exploiter sa relation privilégiée avec la France et profiter de la présidence française de l'UE à l'automne dernier pour s'assurer que le dossier ne disparaisse pas de l'écran-radar européen.

Malgré des échanges commerciaux importants, le Québec et le Canada sont des demandeurs face à l'UE. C'est nous qui portons le fardeau de preuve. Si l'Europe représente notre plus important partenaire économique après les États-Unis, le Canada de son côté arrive seulement au 11ème rang, loin derrière la Russie et la Chine et au même niveau que l'Inde.

Si ces chiffres suggèrent que l'Europe ne partage peut-être pas le même intérêt que le Canada pour une libéralisation plus poussée des échanges, l'échec des négociations multilatérales du cycle de Doha, de même que la volonté actuelle de combattre la montée du sentiment protectionniste, produisent néanmoins un contexte plus favorable à la conclusion d'une entente bilatérale.

Ce qui rend particulièrement innovatrice l'idée d'un partenariat économique plus étroit entre le Canada et l'UE est que l'Europe n'a encore jamais conclu une entente de ce type avec un pays riche comme le Canada.

Presque toutes les ententes de libre-échange de l'UE sont avec des pays en voie de développement. Si la libéralisation des échanges avec des pays plus pauvres ou avec des marchés moins régulés comme celui des États-Unis fait toujours craindre à l'électorat une forme de « course vers le bas » conduisant inévitablement à l'érosion des protections sociales et environnementales, une entente Canada-UE pourrait potentiellement ouvrir la voie à une forme nouvelle de partenariat économique. Une forme de libéralisation économique plus sociale, équitable et plus verte.

Comme en font foi leurs niveaux de dépenses sociales, le Canada et l'UE partagent des valeurs de solidarité, de redistribution et d'égalité des chances globalement différentes de celles des États-Unis. Ils partagent aussi une vision du monde comparable, multipolaire, davantage axée sur le soft power et le recours au droit international plutôt que sur la simple force militaire pour résoudre les conflits.

Pour toutes ces raisons, un partenariat économique qui serait plus large que le libre-échange traditionnel, qui envisagerait des collaborations plus poussées au niveau environnemental et des technologies vertes, de l'éducation, de la recherche scientifique et de la mobilité professionnelle, pourrait être politiquement plus facile à vendre aux électeurs canadiens et européens.

La mondialisation a de plus en plus mauvaise presse. Mais avec leurs valeurs communes, le Canada et l'UE ont l'occasion de renverser cette tendance et atténuer les replis protectionnistes et identitaires. En faisant preuve de leadership, ils peuvent re-légitimer le commerce mondial en lui donnant un visage « plus humain ».

Il ne faut cependant pas perdre de temps. Durant la campagne présidentielle américaine, le candidat Obama s'est dit intéressé à l'idée d'un libre-échange avec l'UE. De tels appels sont susceptibles de résonner fortement du côté européen, pressé de reconstruire les rapports transatlantiques fragilisés par l'administration Bush.

Si les Américains nous dament le pion auprès de l'UE, nous perdrons notre capacité d'initiative et d'innovation. Nous devrons alors nous adapter à une entente négociée par les États-Unis qui risque de nous être moins favorable.

L'auteur est directeur du Centre d'excellence sur l'Union européenne à l'Université de Montréal et à l'Université McGill.