Alors que la Commission parlementaire sur l'itinérance reprend ses auditions interrompues par les élections, le moment est venu d'affirmer la nécessité de reconnaître les droits des personnes itinérantes en mettant fin aux stratégies de judiciarisation auxquelles elles sont confrontées.

Sur le terrain, le fait que le Barreau du Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et d'autres aient témoigné durant les auditions l'automne dernier du caractère discriminatoire des pratiques de judiciarisation à Montréal, n'a pas mis fin à l'émission de contraventions à l'endroit des personnes itinérantes et ne les a pas libérées du fardeau financier lié aux constats d'infraction qu'elles ont reçus ces dernières années. Ainsi, les personnes itinérantes continuent à être pénalisées pour des activités liées tant à leur survie dans la rue et qu'à leur occupation légitime des espaces publics telles que le flânage sur la place publique, la consommation d'alcool en public, la mendicité et autres activités de sollicitation telle le squeegee et leur présence dans les parcs après les heures de fermeture où elles trouvent refuge pour dormir.

Certes, la Ville de Montréal, après s'être engagée à le faire pendant deux années, a finalement nommé un Procureur désigné aux dossiers des personnes itinérantes à la Cour municipale de Montréal. Bien que nous présumions de la bonne foi des acteurs impliqués dans ce dossier, cette nomination présentée comme une alternative à la judiciarisation risque de n'en avoir que le nom. En effet, le mandat confié au Procureur désigné est si restreint (les contraventions avant jugement) que son impact malgré toute sa bonne volonté ne peut avoir qu'un effet limité.

Nos études démontrent que plus de 40 000 contraventions émises à l'encontre de personnes itinérantes ces 10 dernières années ont déjà franchi l'étape du jugement et attendent une solution judiciaire qui au mieux aboutira à une radiation comptable et au pire à une incarcération pour non paiement d'amendes si la Cour municipale choisit de réémettre des mandats d'emprisonnement.

Pourtant, d'un côté comme de l'autre, le paiement des contraventions n'aura pas lieu. Pourquoi? Parce qu'une personne itinérante est généralement une personne en situation d'extrême pauvreté, faut-il le rappeler, et que dans ce contexte, elle ne peut pas payer une dette qui peut parfois s'élever à des milliers de dollars.

En attendant, ces contraventions engorgent le système judiciaire occasionnant des coûts importants pour les contribuables, aggravent la situation des personnes itinérantes et contribuent à les maintenir dans une situation précaire. L'utilisation du système judiciaire et du système pénal en particulier est une stratégie qui s'avère coûteuse, contre-productive et inefficace.

Face à cette situation que l'on pourrait qualifier de ridicule si ce n'est qu'elle met en péril les droits les plus fondamentaux des personnes parmi les plus vulnérables de notre société, il revient aux membres de la Commission parlementaire sur l'itinérance et aux députés de l'Assemblée nationale de prendre la décision qui s'impose : amnistier les personnes itinérantes des contraventions qui ont été émises par le passé et cesser l'émission de nouvelles contraventions à l'avenir. C'est la première recommandation que nous ferons lors de nos auditions aujourd'hui afin que cesse la discrimination exercée à l'endroit des personnes itinérantes quant à leur présence dans l'espace public.

Une fois, cette injustice reconnue et réparée, les personnes itinérantes ne seront pas moins dans la rue. Elles retrouveront cependant le même droit de cité ou d'être dans l'espace public, que les autres citoyens de nos villes. Ce n'est pas rien. S'ouvre alors la perspective d'offrir des réponses appropriées à un phénomène aussi complexe que l'itinérance. D'aucuns vous diront qu'il faut d'abord du logement, d'autres des soins de santé, d'autres encore un revenu. Toutes ces réponses sont bonnes, mais non suffisantes.

S'engager à mieux répondre aux besoins des personnes itinérantes, c'est d'abord et avant tout rétablir une relation de solidarité avec les personnes parmi les plus vulnérables de notre société. Pour y parvenir, il importe de reconnaître ces personnes en dignité et en droit. Cette maxime peut paraître révolutionnaire, mais elle témoigne simplement de l'importance de penser les réponses à l'itinérance en termes sociaux et collectifs organisées dans une réelle politique globale et intersectorielle plutôt qu'en termes individuels et punitifs.

Céline Bellot est professeure à l'École de service social, à l'Université de Montréal.

Marie-Ève Sylvestre est professeure de la Section de droit civil, à l'Université d'Ottawa.