Le projet de loi 21 concernant la laïcité de l’État invite des réflexions au sujet de la laïcité et du droit applicable. Toutefois, ces concepts frôlent en surface ce qui nourrit réellement le désir de la majorité de la population. 

Car ce projet de loi semble être motivé d’abord par une volonté d’affirmer l’identité québécoise telle que la conçoit une partie de la population. Quelle est cette identité ? La sentons-nous menacée ? Par qui, quoi ? Il faut engager un dialogue honnête à ce sujet afin de favoriser la paix sociale. 

Le débat concernant le projet de loi 21 serait trop facile s’il n’était qu’une affaire juridique. 

Il n’est pas surprenant qu’au gouvernement, on peine à retracer un seul avis juridique formel en faveur du projet de loi 21. Ce projet contrevient à plusieurs droits fondamentaux garantis par nos chartes.

Toutefois, notre gouvernement passe déjà outre à cette considération en invoquant le recours à l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition permet que le projet de loi 21 prenne effet, indépendamment des garanties constitutionnelles prévues à cette Charte. 

Le projet de loi 21 soulève aussi de profondes incohérences : il énonce que pour certains agents de l’État, « le port d’un signe religieux est interdit ». Tous les signes, visibles ou non. Le raisonnement du gouvernement est difficile à suivre. 

En éducation, par exemple, la loi présuppose que désormais, tout enseignant portant un signe religieux, indépendamment de ses qualités personnelles, pourrait constituer une entrave à nos valeurs collectives. On juge que n’importe quel enseignant qui porte une étoile de David, même cachée, représente par ce simple fait un problème. Ah bon… 

Le gouvernement contrôlera donc le port de tous les signes religieux, n’est-ce pas ? Non. Il précise qu’aucune « fouille à nu » ne sera effectuée pour vérifier le respect de la loi. Un enseignant pourrait donc, sous sa chemise, porter une croix et passer incognito. La femme portant le voile, non. Et une enseignante, après l’adoption de la loi, pourra même légalement se tatouer une croix visible, sur le cou par exemple. Les tatouages, c’est permis selon la loi, au dire de Simon Jolin-Barrette. On est un risque quand on porte la croix, mais pas quand on l’a tatouée sur le cœur. Ou le cou, bien visible. 

Qu’importe. Ces incohérences pèsent peu dans l’opinion publique. Et la laïcité, elle ? 

Elle est aussi relative. Aux articles 1 et 2, ce projet de loi affirme que l’État du Québec est laïque et énonce que la laïcité de l’État repose sur « la séparation de l’État et des religions », « la neutralité religieuse de l’État », « l’égalité de tous les citoyens et citoyennes » et « la liberté de conscience et la liberté de religion ». 

Principes vertueux. C’est la manière dont nous les vivons qui surprend. 

Même en étant en accord avec l’interdiction du port des signes religieux par certains agents de l’État, il faudrait par ailleurs constater que cette seule mesure n’est que cosmétique. Elle est minuscule par rapport à la complexité des enjeux qui mettent en cause la laïcité de l’État. 

Avons-nous peur que par son intégration aux activités menées par l’État, la religion s’ingère dans l’action de l’État, ou encore, nous endoctrine ? Nous devrions donc nous interroger sur toutes les circonstances où l’État participe par son action, en réalité ou en apparence, à l’évangélisation des citoyens. Un exemple ?

L'évangélisation en direct 

Un dimanche, il y a quelques semaines, j’ai allumé ma télévision. C’était la messe. À Radio-Canada. De l’évangélisation en direct, à heure de grande écoute, à une chaîne financée par nos fonds publics. 

Je ne prétends pas que l’État québécois aurait le contrôle sur ce diffuseur public relevant de la compétence fédérale. N’empêche que nous formulons des revendications à Ottawa en regard d’un ensemble de dossiers qui concernent le Québec. Donc si la laïcité nous interpelle tant, comment se fait-il que la messe à Radio-Canada ne fasse pas scandale ni même qu'elle soit l’objet de débat ? 

Il est graaaaand, le mystèèèère de la fooooiiii ! 

C’est en ce sens que le projet de loi sur la laïcité semble visiblement trouver appui dans d’autres besoins que la laïcité elle-même.

De façon viscérale, le projet de loi sur la laïcité vise surtout à « protéger notre identité », au dire de notre premier ministre lui-même. 

Le 31 mars dernier, lors de son adresse à la nation au sujet du projet de loi, il a même ajouté : « Il est temps de fixer des règles, parce qu’au Québec, c’est comme ça qu’on vit. » « C’est comme ça qu’on vit. » 

Affirmation qui présente sans nuance une manière unique de vivre. Un « on » présenté comme « universel », tel que l’a souligné Simon Jodoin au sujet de cette adresse à la nation. Un « on » niant nos divergences. 

Il est pourtant nécessaire de dialoguer honnêtement : la majorité historique francophone et québécoise d’un autre héritage. Notre rapport profond à la religion en général. Notre méfiance à l’égard de certaines d’entre elles, ou l’instrumentalisation de celles-ci. 

Interdire les signes n’est qu’une solution de surface. « Sommes-nous à ce point fragiles que le moindre signe de différence est automatiquement perçu comme une menace ? Si oui, le Québec a des croûtes à manger. » C’est ce qu’a affirmé Richard Martineau en 2002.

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