Afin d'approfondir l'enjeu de la laïcité, nous vous offrons une section quotidienne sur ce sujet d'importance.

La laïcité n’est pas identitaire

Un élément est passé inaperçu dans le débat actuel sur la laïcité : la loi sera la première dans l’histoire du Québec à utiliser l'appellation de « nation québécoise » dans son préambule.

Même la Charte de la langue française, centrale dans la vie collective, ne réfère qu’au « peuple ». Par l’affirmation de la laïcité de l’État, le gouvernement cherche ainsi à rassembler les francophones autour d’un projet. Mais s’agit-il d’un projet collectif de substitution ? Bien que la volonté de l’exécutif soit légitime, il ne faut pas oublier que la laïcité est l’expression française de la sécularisation. 

Un projet collectif de substitution 

Depuis 25 ans, l’identité collective, qui vacille au gré des reculs politiques, cherche à revêtir différents habits. Les peuples qui enregistrent des blocages, comme les Québécois en 1995, cherchent des moyens d’exprimer leur culture sur le plan politique. Par exemple, en 2007, le Parti québécois (PQ) présente le projet de loi sur l’identité québécoise qui vise entre autres à « préserver la laïcité », à instituer une citoyenneté québécoise en plus d’élaborer une Constitution. Le PQ étant alors dans la deuxième opposition, le projet de loi est battu en brèche. Mais le seul fait qu’il ait été présenté sous l’allure d’une défense de l’identité était un signe des temps.

Les sociétés contemporaines jonglent avec la politisation des identités, qu’elles soient majoritaires, minoritaires ou même fondées sur des affinités.

Pourtant, le législateur ne devrait-il pas favoriser l’épanouissement de l’identité collective sans légiférer directement à son sujet ? L’identité est intangible et a des propriétés que la nation n’a pas : la première est insaisissable et la deuxième, lorsqu’elle s’exprime aux élections, est aisément repérable. En parlant de nation au lieu d’identité, le gouvernement de la CAQ semble réussir là où le PQ a échoué. Dans un Québec qui n’a pas atteint le stade de la normalité existentielle, l’identité collective cherche sporadiquement à s’associer à des projets qui n’ont rien à voir avec elle. 

L’exception française ? 

En France, la laïcité n’a pas la rigidité qu’on aime bien lui prêter à l’étranger. Elle est le fruit d’un parcours tumultueux, non linéaire, qui a connu des avancées et des reculs successifs du XVIe siècle au début du troisième millénaire. Si l’origine de la laïcité se trouve dans les guerres de religion entre catholiques et protestants, ses principes sont affirmés par la Révolution dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Avec l’édit de Nantes (1598), Henri IV accorde des droits divers aux protestants. Moins de 100 ans plus tard, Louis XIV révoque cette mesure de pacification sociale. Le royaume français est alors « très chrétien » ; la France se voit comme la « fille aînée de l’Église ». 

Avec la loi de 1905, la IIIRépublique française décide de séparer les Églises de l’État. Le mot de « laïcité » ne figure nulle part dans cette loi qui, d’ailleurs, n’a jamais été constitutionnalisée. Le département d’Alsace-Moselle, qui dispose d’un statut dérogatoire, n’est pas tenu de s’y conformer, encore aujourd’hui, pour des raisons historiques.

La laïcité française implique une certaine flexibilité en ce qu’elle pose des principes auxquels elle déroge. Avec sa clause de droits acquis, le projet de loi du gouvernement Legault s’inscrit dans la même logique.

À la même époque, Mgr Paquet, « théologien national » du Canada français, prononce un discours sur la vocation de ses concitoyens de langue française et de foi catholique. Selon lui, leur mission consistait « moins à allumer le feu des usines qu’à entretenir et à faire rayonner au loin le foyer lumineux de la religion et de la pensée ». 

En France, il faut attendre les Constitutions de la IVRépublique, en vigueur de 1946 à 1958, et celle de la Ve République, en vigueur depuis lors, pour que l’article 1 de celles-ci mentionne que « la République est laïque ». Au Québec, on aurait tort de penser que le principe de laïcité est né dans le sillage de la Révolution tranquille et de la création du ministère de l’Éducation, en 1962, et qui a franchi une autre étape, en 1998, avec la déconfessionnalisation de l’éducation et des commissions scolaires. En 1838, le patriote Robert Nelson pose les premiers jalons d’une laïcité québécoise, dans la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada, en voulant dissoudre l’union entre l’Église et l’État. Mais Maurice Duplessis, on le sait, installe un crucifix au Salon vert en 1936. 

Au fond, le Québec est passé plus rapidement que la France du principe de catholicité à celui de laïcité. Aucun des deux, cependant, n’est en avance ni en retard sur l’autre : par des avancées et des reculs successifs, chacun a élaboré sa conception de la laïcité en fonction de son histoire respective. Ne dit-on pas de la société québécoise qu’elle est progressiste ? Il semble qu’elle le prouve encore une fois.

Une solution à la recherche d’un problème

Je me considère comme un Anglo-Québécois modéré, raisonnable et francophile. Or, le projet de loi 21 et le discours public à son sujet me découragent énormément. 

J’ai grandi dans l’ouest de Montréal. Mes parents parlaient peu de français, mais ma mère disait que si je voulais rester au Québec, je devais perfectionner mon français. C’était en 1972. Et c’est ce que j’ai fait. 

Né protestant, je me suis converti au judaïsme il y a plus de 30 ans, après avoir marié une femme juive. 

J’ai eu l’honneur d’être membre de l’Assemblée nationale pendant 14 ans, travaillant avec des francophones et anglophones de partout au Québec, en français, pour améliorer notre société. J’ai aussi été maire de l’arrondissement vraisemblablement le plus diversifié de la ville de Montréal. 

Le Québec est un magnifique endroit où vivre. Existe-t-il des Québécois intolérants ? Bien sûr ; mais selon mon expérience, les Québécois sont ouverts d’esprit et accueillants.

Notre société a été façonnée, en grande partie, par des vagues d’immigration et par l’intégration remarquablement harmonieuse des nouveaux arrivants. 

Alors pourquoi suis-je plié en quatre à propos du projet de loi 21 ? Parce que je me sens déconnecté de trop de mes concitoyens québécois et très mal à l’aise devant la restriction du port de symboles religieux et le recours aux « clauses nonobstant » pour supplanter les droits fondamentaux. 

Le projet de loi 21 va loin, plus loin que le fameux rapport Bouchard-Taylor. Les restrictions proposées sont d’une portée plus vaste en s’appliquant aux enseignants et aux directions d’écoles. Charles Taylor et Gérard Bouchard ont tous deux dénoncé le projet de loi. 

Chercher un problème

Très, très peu de Québécois qui occupent des postes dits d’autorité portent des symboles religieux. Personne n’a jamais réussi à établir que l’un ou l’autre d’entre eux était biaisé. Cela fait du projet de loi 21 une solution à la recherche d’un problème. 

Mais le caractère laïque de l’État est une valeur québécoise importante, de dire les défenseurs. Je vis près d’une montagne dominée par une croix illuminée entretenue par l’autorité civique, près de l’école publique Sainte-Catherine-de-Sienne. J’ai siégé dans deux salles de délibération sous des crucifix qui – jusqu’à récemment – y étaient « pour de bon » parce qu’ils « font partie de notre patrimoine ». Aucune contradiction là, pas vrai ? 

Les deux principaux arguments invoqués par le gouvernement pour expliquer le projet de loi 21 m’inquiètent.

Le premier : « Nous vous avons dit que nous le ferions et nous avons obtenu une forte majorité aux élections. » La CAQ a obtenu 37 % du vote populaire, le plus faible pourcentage de votes de tout gouvernement majoritaire de l’histoire récente du Québec. Ce n’est pas un mandat très fort pour une loi qui entraîne des conséquences aussi répandues et dramatiques. 

Le deuxième argument : une majorité de Québécois l’approuvent. Il n’est ni scandaleux ni antidémocratique de suggérer que, parce qu’une majorité appuie une mesure donnée, il est normal que le gouvernement en fasse la promotion et qu’une législature l’adopte. Les droits individuels sont consacrés par des lois, souvent constitutionnelles, pour protéger les minorités de gestes, parfois contestables, de la majorité. Les droits fondamentaux, par exemple la liberté de religion, ne sont pas un concours de popularité. 

L’aspect du projet de loi 21 qui me désole particulièrement est la légèreté avec laquelle des droits individuels fondamentaux seront supprimés. 

Il est condamnable que mon gouvernement propose de contourner le recours judiciaire normal en incluant les « clauses nonobstant » des Chartes fédérale et québécoise dans le projet de loi 21. Si le projet de loi est raisonnable et modéré comme autant le prétendent, laissons à nos tribunaux la tâche de trancher, comme ils le font pour toutes les lois. 

Je suis d’avis que les Québécois sont davantage ouverts et généreux que bien des mesures prévues au projet de loi 21. Surtout lorsque nos élus font preuve de leadership ouvert et généreux.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion