Le plus désolant, dans la levée de boucliers contre la déclaration du maire de Hampstead, n’est pas ce qu’il a dit. C’est la réaction démesurée d’une bonne partie du Québec francophone… qui, une fois de plus, a transformé en drame national une remarque marginale jugée insultante pour l’ego collectif. 

On s’entend : parler de « nettoyage ethnique » à propos du projet de loi 21 sur la laïcité, ce n’était pas la trouvaille du siècle, pas plus que les accusations de « racisme » que des militants soi-disant « racisés » font trop souvent pleuvoir sur le Québec. Mais enfin, calmons-nous ! 

L’indignation, l’exagération et l’hyperbole ne font-elles pas partie de la liberté d’expression, en particulier dans la culture latine qui est un peu la nôtre ? 

Le maire Steinberg, qui vient de la vieille famille montréalaise qui a inventé le concept du supermarché (et qui a grandi à une époque où l’on osait dire sans filtre ce que l’on pensait), n’est un danger pour personne.

Il n’a aucun pouvoir autre que celui qu’il exerce sur les règlements de zonage de sa microscopique municipalité ! 

Sa première sortie (il a ensuite précisé qu’il parlait de « nettoyage » non violent, ce qui était évident) méritait un haussement d’épaules ou une rebuffade verbale, pas ce raz-de-marée de fureur qui a envahi les médias respectables, jusqu’à distraire pendant une semaine l’opinion publique du véritable enjeu du débat. Tous les acteurs politiques se sont crus obligés de condamner le maire d’une ville de troisième ordre sous peine de voir leur loyauté au Québec remise en question ! 

Même Justin Trudeau, en cette année électorale où il a absolument besoin des votes du Québec, a dû céder au courant. 

Et bien sûr, le premier ministre Legault en a profité pour se proclamer une fois de plus le champion de la « majorité »… comme si les droits des minorités, dans un pays civilisé, devaient être définis par la majorité ! 

Le tollé se poursuit : des citoyens demandent à l’Union des municipalités de sévir contre le maire Steinberg au nom de l’« éthique ». Mais quel rapport ? À ce compte-là, le Barreau va-t-il entrer dans la ronde et expulser l’avocat Julius Grey qui entend soumettre le projet de loi 21 à l’ONU ? 

Hélas, ce n’est pas d’hier que les Québécois ont cette manie de jouer les victimes devant la critique, spécialement celle qui vient de l’étranger ou de ces autres « étrangers » que sont les immigrants ou les membres de la minorité anglophone de vieille souche. 

On pense à la stigmatisation de Mordecai Richler, exilé à jamais de la littérature québécoise pour cause de quelques articles ridiculisant la « police » linguistique du Québec. 

On pense à l’Assemblée nationale, qui a donné plusieurs fois le triste spectacle d’une assemblée d’élus invoquant la force de l’État contre des individus isolés : contre D’Iberville Fortier, pour avoir dit que la loi 101 « humiliait » l’anglais ; contre Yves Michaud, pour avoir tenu des propos équivoques sur la minorité juive ; contre Jan Wong, une simple journaliste qui avait commis une erreur de jugement dans un papier sur les massacres de Poly et de Dawson… 

Le gouvernement Legault a accouché d’un projet de loi qui, tout en étant moins extrême que celui du gouvernement Marois, est nettement discriminatoire. Eh bien, qu’il assume ses propres actes ! Qu’il cesse de se faire passer pour une victime injustement calomniée ! Qu’il admette au moins que les seules victimes, dans cette affaire, sont celles qui seront forcées de choisir entre leur gagne-pain et leurs convictions religieuses ! 

S’il avait un minimum de sensibilité politique, le gouvernement comprendrait que si ce projet de loi scandalise nombre de francophones de vieille souche agnostiques comme moi, il a des répercussions encore pires au sein des minorités pratiquantes juives ou musulmanes, parce qu’il déclenche chez elles un sentiment bien tangible : la peur. Le rappel de ce qui s’est déjà passé, la peur de ce qui pourrait advenir.

Une peur en partie irrationnelle peut-être, mais fort légitime. Après tout, l’antisémitisme n’est pas une invention et le sang est à peine séché dans la mosquée de Québec. Une loi visant les symboles religieux peut fort bien réveiller les pires instincts chez des esprits dérangés. 

Au fait, y aurait-il derrière cette hypersusceptibilité de tant de Québécois aux critiques les accusant de xénophobie un petit relent de culpabilité ? Le Québécois moyen est plutôt généreux : ce n’est pas sans un certain malaise qu’il envisage de priver quelqu’un de son emploi. C’est pourquoi le gouvernement Legault a opté pour une clause « grand-père », sachant fort bien que des images montrant le congédiement d’une enseignante voilée feraient le tour du monde. 

On a préféré la méthode lâche, tout aussi cruelle, mais moins visible : priver le futur enseignant du seul emploi qu’il puisse obtenir. 

En tout cas, ceux qui se sentent actuellement offensés par le maire de Hampstead feraient mieux d’attacher leur tuque, car les critiques à venir seront bien plus virulentes… et elles toucheront à la réputation internationale du Québec. 

Parce qu’il rompt violemment avec une culture politique nord-américaine fondée sur le respect des droits religieux, le projet de loi 21 sera condamné à la largeur du continent. 

Ce n’est pas parce que le Bloc québécois, dans sa dernière fanfaronnade, enjoint au reste du Canada de ne pas se mêler du projet de loi sur la laïcité que le Québec ne fait plus partie du Canada. Et attendons que les médias new-yorkais viennent enquêter sur place…

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