Le 4 avril dernier, Radio-Canada rapportait qu’un arbitre ontarien avait donné raison à une mère qui refusait de faire vacciner ses deux enfants, alors que le père était pourtant en faveur de la vaccination de ses fils.

Cette décision a pu être interprétée dans les médias sociaux comme une victoire des anti-vaccins. Or, ce n’est pas le cas : cette décision est surtout un affront aux droits des enfants et au principe voulant que les décisions les concernant doivent toujours être prises dans leur intérêt supérieur. 

On rapporte dans cette histoire que les enfants, deux garçons, n’avaient reçu aucun vaccin depuis leur naissance ; que leurs parents étaient séparés au moment du conflit et qu’ils en avaient la garde partagée.

Selon les informations dont nous disposons, les parents, quand ils faisaient vie commune, avaient tous deux accepté de ne pas faire vacciner leurs enfants, sans que les motifs de cette prise de position soient par ailleurs explicités. Ce n’est qu’après la séparation de la famille que le père aurait souhaité les faire vacciner, notamment pour protéger un enfant plus jeune issu d’une nouvelle union. À la suite du refus persistant de la mère, le désaccord s’est finalement retrouvé devant un arbitre.

Décision déconcertante

Mais contre toute attente, l’arbitre en question a tranché en faveur de la mère, jugeant que « choisir de ne pas faire vacciner n’est pas illégal, négligent ou immoral, c’est un choix personnel ». Il a même ajouté, en fonction de la « preuve » amenée devant lui, qu’il ne voyait aucun risque pour ces enfants à ne pas être vaccinés. Sa décision nous paraît déconcertante à plusieurs égards. 

Tout d’abord, dans son jugement, l’arbitre admet que les autorités gouvernementales et de santé publique prônent la vaccination dans une optique de santé communautaire. Toutefois, il juge, en l’occurrence, que les risques de la vaccination dépassent les bénéfices pour les enfants ici concernés, et ce, en l’absence d’arguments que nous jugeons crédibles.

Son évaluation est basée sur le témoignage de deux « experts » antivaccinaux, dont l’un américain, pour lesquels l’argumentaire rapporté dans le jugement demeure anecdotique, voire totalement farfelu.

Il est à noter que l’arbitre n’a entendu aucun expert en vaccinologie et que cette absence d’expertise n’est aucunement expliquée dans la décision finale.

Il est aussi consternant de lire que l’un des motifs qu’il invoque est que les enfants sont en bonne santé et qu’ils sont généralement protégés puisqu’une bonne partie de leur entourage est vacciné. Le seul argumentaire relié directement à l’intérêt supérieur des enfants, et il est audacieux, est celui selon lequel ces derniers semblent avoir calqué leur position marginale sur celle de leur mère et que les vacciner contre leur gré aurait été problématique. 

Les vaccins protègent contre les maladies

Au Canada, de nombreux vaccins sont recommandés par les autorités médicales, dont l’Agence de santé publique du Canada et la Société canadienne de pédiatrie, puisqu’il est universellement reconnu qu’ils protègent contre certaines maladies graves et leurs possibles complications. On sait que le calendrier vaccinal offert aux enfants fait l’objet de discussions et de débats sérieux et collégiaux entre experts pour déterminer ce qui est le mieux pour les enfants en fonction du fardeau des maladies, de leur épidémiologie, et enfin des coûts et du profil de sécurité des vaccins. 

L’administration d’un vaccin est évidemment un soin qui nécessite l’obtention d’un consentement libre et éclairé. Pour les mineurs, ce sont généralement les parents ou le tuteur qui donnent un tel consentement, bien qu’au Québec, l’enfant de 14 ans et plus puisse consentir seul aux soins requis par son état de santé. Une personne majeure est libre de refuser tout soin, que ce refus soit justifié ou non, et qu’il soit raisonnable ou non. 

L’adulte a parfaitement le droit de mettre sa vie en danger. Le principe du respect de l’intégrité et de l’autonomie de la personne est ici quasi absolu. Toutefois, il en va autrement des décisions prises pour les enfants. 

Il fut un temps où on considérait l’autorité parentale comme absolue, personne n’ayant un droit de regard sur les choix et les méthodes d’éducation des parents. Malheureusement, force fut de constater que devant la négligence et la maltraitance de certains parents, les sociétés ont dû intervenir pour protéger les enfants.

La Convention internationale des droits de l’enfant prévoit en effet que toute décision prise pour un enfant doit l’être dans son intérêt supérieur. Ce principe est repris par la Common Law (qui est le droit applicable en Ontario et dans le reste du Canada). Il est aussi expressément reconnu dans le Code civil du Québec. Ainsi, dans leurs décisions de consentir ou de refuser des soins, les parents doivent tenir compte de l’intérêt supérieur de leur enfant, et ce, dans le respect d’une coparentalité souhaitée collaborative et pacifique. Il n’est pas question ici de se référer à des dogmes, à des extrémismes ou même à des convictions culturelles ou religieuses. 

Au Québec, il est prévu que le refus injustifié des parents de consentir ou non à des soins peut être contesté devant les tribunaux. Les professionnels de la santé et les sociétés savantes qui étudient la santé infantile considèrent, en se basant sur des éléments scientifiques indiscutables, que les vaccins sont bénéfiques pour les enfants et que les enfants devraient être vaccinés, sauf en cas de contre-indication médicale avérée, par exemple lors d’un déficit immunitaire.

Dans notre monde où la liberté et l’autonomie sont des valeurs importantes, la société tolère, jusqu’à un certain point, certaines mauvaises décisions des parents en matière de santé et d’éducation, comme celle de ne pas faire vacciner leur enfant. Il n’est pas rare que des parents, séparés ou non, aient des vues différentes sur les soins, les activités, l’éducation ou même la religion de leur enfant.

Toutefois, lorsque ces conflits se retrouvent devant une autorité chargée de les régler, ce critère de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son entourage est normalement le seul à prendre en compte. 

La décision inexplicable de l’arbitre ontarien heurte profondément. Il est vrai qu’au Québec, la Cour supérieure a plusieurs fois été saisie de différends entre les parents concernant l’administration des vaccins. Seulement, à notre connaissance, elle a toujours jugé en faveur de leur administration, sinon elle a requis que les parents obtiennent l’avis d’un pédiatre justifiant l’attitude à préconiser.

Nous nous inquiétons, en tant que pédiatres, immunologues, infectiologues et infirmières, de la banalisation et de la validation des théories et des idées reçues ou truquées des anti-vaccins et constatons, dans cette décision qui ne va pas dans l’intérêt supérieur des enfants, un inquiétant précédent. 

* Cosignataires du CHU Sainte-Justine : Julie Autmizguine, pédiatre infectiologue ; Denis Blais, infirmier en maladies infectieuses ; Chantal Buteau, pédiatre infectiologue ; Sandra Caron, infirmière en maladies infectieuses ; Hélène Decaluwe, pédiatre immunologue ; Élie Haddad, pédiatre immunologue ; Fatima Kakkar, pédiatre infectiologue ; Valérie Lamarre, pédiatre infectiologue ; Marc Lebel, pédiatre infectiologue ; Philippe Ovetchkine, pédiatre infectiologue ; Caroline Quach, pédiatre infectiologue ; Bruce Tapiero, pédiatre infectiologue ; Émilie Vallières, microbiologiste médicale et infectiologue ; Jean-Yves Frappier, pédiatre, chef du département de pédiatrie ; Fernando Alvarez, pédiatre gastroentérologue ; Benoit Bailey, pédiatre urgentologue ; Céline Belhumeur, pédiatre ; Anne-Claude Bernard-Bonnin, pédiatre ; Henrique Bittencourt, pédiatre hémato-oncologue ; Maria Buithieu, pédiatre ; Benoit Carrière, pédiatre urgentologue ; Jérôme Coulombe, pédiatre dermatologue ; Julie Couture, pédiatre rhumatologue ; Barbara Cummins-McManus, pédiatre urgentologue ; Michèle David, pédiatre hémato-oncologue ; Cheri Deal, pédiatre endocrinologue ; Guy D’Anjou, neurologue pédiatrique ; Lydia Di Liddo, pédiatre urgentologue ; Marie-Joëlle Doré-Bergeron, pédiatre ; Robert Dubé, pédiatre ; Amélie Du Pont-Thibodeau, pédiatre néonatalogiste ; Guillaume Émériaud, pédiatre intensiviste ; Sandrine Essouri, pédiatre ; Helena Evangeliou, pédiatre ; Christophe Faure, pédiatre gastroentérologue ; Melissa Fiscaletti, pédiatre ; Jean-Bernard Girodias, pédiatre urgentologue ; Jocelyn Gravel, pédiatre urgentologue ; Véronique Groleau, pédiatre gastroentérologue ; Kelly Grzywacz, pédiatre gastroentérologue ; Ugur Halac, pédiatre gastroentérologue ; Philippe Jouvet, pédiatre intensiviste ; Anie Lapointe, pédiatre néonatalogiste ; Jean-Marie Leclerc, pédiatre hémato-oncologue ; Francine Lefebvre, pédiatre néonatalogiste ; Nathalie Lucas, pédiatre urgentologue ; Thuy Mai Luu, pédiatre ; Philippe Major, neurologue pédiatrique ; Valérie Marchand, pédiatre gastroentérologue ; Martha McKinney, pédiatre pneumologue ; Marie-Paule Morin, pédiatre rhumatologue ; Thanh Diem Nguyen, pédiatre pneumologue ; Uyen Phuong Nguyen, pédiatre ; Antoine Payot, pédiatre néonatalogiste ; Véronique A. Pelletier, pédiatre ; Karine Pépin, pédiatre ; Véronique Phan, pédiatre néphrologue ; Julie Powell, pédiatre dermatologue ; Georges-Étienne Rivard, pédiatre hémato-oncologue ; Nancy Robitaille, pédiatre hémato-oncologue ; Michel Roy, pédiatre urgentologue ; Sima Saleh, pédiatre ; Yvan Samson, pédiatre hémato-oncologue ; Marisol Sanchez, pédiatre urgentologue ; Pierre Teira, pédiatre hémato-oncologue ; Baruch Toledano, pédiatre intensiviste ; Sophie Tremblay, pédiatre néonatalogiste ; Jean Turgeon, pédiatre ; Guy Van Vliet, pédiatre endocrinologue ; Andréanne Villeneuve, pédiatre néonatalogiste ; Thuy Tien Vo, pédiatre urgentologue

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