La laïcité alimente à nouveau les discussions. Afin d'approfondir cet enjeu d'importance, la section Débats lui consacre une section au cours des prochains jours.

Les défis du fédéralisme en 2019

Le projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité de l'État, déposé à l'Assemblée nationale il y a quelques jours par le ministre Simon Jolin-Barrette, fait déjà l'objet de vives critiques du gouvernement fédéral et des élites médiatiques du Canada anglais. Il n'y a rien de surprenant là-dedans, on s'y attendait.

Nos concitoyens canadiens perçoivent toutes les questions qui concernent le « vivre-ensemble » à travers le prisme du multiculturalisme, qui, au cours des dernières décennies, est devenu une pierre angulaire de l'identité canadienne.

La tradition anglo-saxonne privilégie la liberté de religion, alors que les Québécois, de tradition plutôt républicaine ou française, souhaitent être libérés de la religion institutionnalisée. La distinction est fondamentale. Le Québec s'inscrit donc en faux contre le modèle multiculturaliste au profit d'un modèle distinct qui repose sur des valeurs communes définies et ancrées dans notre histoire nationale.

Ce projet de loi du gouvernement caquiste est, disons-le, un geste d'affirmation nationale.

La différence identitaire entre le Québec et le reste du Canada constitue un important test pour le fédéralisme. Justin Trudeau aura beau s'époumoner à dénoncer la laïcité de l'État, est-ce qu'il remettra en question le droit et la légitimité du Québec d'agir ainsi ? Voilà la ligne qu'il ne faudra pas traverser. Le fédéralisme canadien doit pouvoir permettre à différentes interprétations de l'identité de coexister en son sein. À cet égard, nous pouvons nous réjouir de l'existence de la clause dérogatoire dans la Constitution canadienne.

Le fédéralisme canadien vivra donc un moment de tension sur le plan identitaire au Québec au cours des prochains mois, mais il vivra également des moments de tension sur le plan économique ailleurs au pays.

Dans l'Ouest canadien, la colère est palpable. L'économie s'y porte mal, des emplois sont perdus et les gens, en particulier les Albertains, ont l'impression que le Canada leur met des bâtons dans les roues concernant le développement de l'industrie énergétique. Qui plus est, ils continuent de fortement contribuer au programme de péréquation qui bénéficie aux provinces de l'Est.

Jason Kenney, à la tête du Parti conservateur unifié, sera élu premier ministre de l'Alberta au cours des prochaines semaines avec une forte majorité. Il doit composer avec un courant sécessionniste qu'il contient en promettant de tenir un référendum sur la formule de péréquation - jugée injuste dans cette partie du pays - si des oléoducs ne sont pas construits. Nul doute que ledit référendum recueillerait une majorité claire, ce qui pourrait engendrer une obligation de négocier.

Pour ce qui est de la taxe carbone du gouvernement fédéral, la grogne de l'Ouest - au sens large - débute de l'autre côté de la rivière des Outaouais. Plusieurs provinces font front commun contre cette tentative du gouvernement Trudeau d'imposer une solution passe-partout en matière environnementale.

Les libéraux de Justin Trudeau traversant des temps particulièrement difficiles, il est désormais nécessaire pour eux de consolider leur électorat traditionnel tout en continuant de jouer des coudes sur la gauche avec le NPD.

Les velléités centralisatrices libérales pourraient donc trouver de multiples façons de s'exprimer lourdement au cours des mois à venir.

Le Parti libéral du Canada ayant tendance à confondre ses intérêts partisans avec l'intérêt supérieur du pays, on ne saura s'étonner de voir le gouvernement fédéral s'affirmer comme l'exportateur pancanadien du prêchi-prêcha multiculturel, gauchisant et « enverdissant », pour ne pas dire envahissant.

Pourtant, une lecture honnête de l'histoire politique canadienne et de sa Constitution plaide en faveur de l'affirmation des compétences provinciales, du respect de leurs aspirations et de leurs valeurs partagées.

Alors que le temps file rapidement et que des élections fédérales à l'issue imprévisible approchent, espérons que ce ne soit pas le fédéralisme, le vrai, qui fasse les frais de la rhétorique et des gestes intempérés du gouvernement Trudeau.

Des racines dans l'histoire du racisme

La Reconquista est une guerre de « reconquête » de la péninsule ibérique (aujourd'hui l'Espagne et le Portugal) menée entre 722 et 1492 par des seigneurs catholiques contre les musulmans qui occupaient le territoire.

Cette guerre laissa place à des périodes d'accalmie durant lesquelles les chrétiens, les musulmans et les juifs cohabitaient dans les agglomérations d'une société surtout urbaine. C'est ce qu'on appelle la convivencia, le vivre-ensemble. Même en temps de guerre, il était fréquent que des personnes de ces trois religions combattent ensemble contre un ennemi voisin. Cette situation était loin d'être parfaite, mais, dans les gouvernements urbains élus, des personnes des trois religions pouvaient aspirer à des fonctions d'influence politique et économique.

Dans le dernier siècle de la guerre, cependant, les élus municipaux chrétiens, appuyés par l'Église catholique et la monarchie, mirent en place des lois afin que les musulmans et les juifs ne puissent plus être élus. Au départ, ce sont les pratiques religieuses, apparentes par l'utilisation de symboles en public, qui firent l'objet de cette discrimination.

Par milliers, afin de ne pas subir les foudres de leurs concitoyens, des musulmans et des juifs se convertirent à la religion catholique. Les élus chrétiens imaginèrent alors un système généalogique séparant légalement les vieux chrétiens des nouveaux chrétiens. La limite était fixée à trois générations et les archives paroissiales faisaient foi de preuves. Les historiens l'ont démontré, les administrations municipales firent de réelles enquêtes approfondies sur des centaines d'individus pour déterminer leur « pureté de sang ». L'Église et la monarchie reprirent ces lois pour discriminer et exclure les nouveaux chrétiens de tout poste au sein de leur administration.

C'est durant cette période, au courant du XVsiècle, que l'on vit apparaître le terme raza, « race », dans les textes de loi, alors qu'il n'était auparavant appliqué qu'aux animaux.

La convivencia prit fin en 1492. La même année que Christophe Colomb mit le pied sur l'île d'Hispaniola (aujourd'hui Haïti et la République dominicaine), les rois catholiques Isabelle et Ferdinand expulsèrent d'Espagne plus de 50 000 juifs et en forcèrent autant à se convertir. Ils conquirent aussi le dernier bastion musulman de la péninsule ibérique, celui de Grenade. Ils promirent de laisser les musulmans vivre en paix, mais selon les lois discriminatoires mentionnées. Puis, en 1501, ils les obligèrent à se convertir et procédèrent à l'expulsion des récalcitrants.

L'apparition du mot « race » dans les traités juridiques et dans les lois espagnoles coïncide avec la conquête des Amériques, la mise sous tutelle des autochtones et le développement de la traite des esclaves africains. En Amérique espagnole, la distinction entre chrétiens, musulmans et juifs se transforma en distinction entre Espagnols, « Indiens » (indios) et « Noirs » (negros). Le droit international, qu'on appelait à l'époque le « droit des gens », fit ses balbutiements dans les universités espagnoles à cette même époque et selon ces mêmes concepts affiliés au racisme naissant.

Mettre en place des lois qui discriminent en fonction du port de symboles identitaires et religieux, qui préviennent des citoyennes (surtout) et des citoyens d'accéder à certains emplois, n'est pas une « avancée historique ».

C'est un recul qui stimule la création de plusieurs classes de citoyens. C'est sanctifier la discrimination entre citoyennes et citoyens. Ce n'est pas favoriser le bien commun, c'est prioriser certains individus. Le projet de loi 21 est du déjà-vu. Il est enraciné dans l'histoire du colonialisme et du racisme. L'histoire regorge d'exemples. Et ils ne sont pas porteurs de paix ni de bien.