Décembre. Cette semaine.

J'ai ramassé ce qui restait dans le potager. Betteraves, choux, navets, carottes et pommes de terre. Les céleris ont gelé, mais leurs coeurs sont intacts. Toutes les fanes s'en vont aux cochons dans la forêt. Le froid concentre les saveurs. Tout est plus sucré aussi. Une belle saison. Qui se termine alors que les sapins de Noël sont déjà sur les toits des voitures.

Je n'y croyais pas mais des petits miracles se sont produits cette semaine : quand j'ai enfoncé la fourche dans la terre gelée, en sautant dessus à pieds joints, et que j'ai forcé en levier pour soulever, des dizaines de patates sont apparues. Nous sommes au Québec, début décembre. Dix pouces de neige il y a dix jours.

Aussi. Le premier ministre s'est rectifié cette semaine sur Fidel Castro. Il nous a d'abord dit ce qu'il croyait, avant de se corriger et de nous dire ce qu'il est convenu de dire. Une démonstration de pensée bienséante. Les liens de loyauté auront été, quelques heures, plus forts que ses conseillers. M. Butts et Mme Telford, qui complètent le trio, n'ont pas pu l'empêcher de dire ce qu'il pensait. Une belle figure.

Et du coup je me suis mis à penser aux prochaines élections en 2019 parce que je change la source de mes semences de patates à chaque année où il y a des élections fédérales. Ça prend des repères, et j'ai trouvé les miens. Si on garde les mêmes pommes de terre comme semences trop longtemps, on finit par affaiblir la souche. Les plants sont moins vigoureux et moins productifs et peuvent développer des maladies. C'est comme ça pour tout le règne vivant. Il faut mixer les sangs. Sinon, les tares apparaissent.

Et c'est le même problème avec les gouvernements : deux ans d'austérité et de contraction, et deux années où tout va soudainement trop bien. L'économie va mal. L'économie va bien. Baromètre du pouvoir. Et depuis qu'on a eu un plan en 2015, on peut aussi mesurer notre État sanitaire par des sourires ! Mon plus jeune a un jour voulu qu'on enterre son jeu de monsieur Patate dans le potager, pour voir. J'ai eu trop peur du résultat et j'ai dit non.

Un moment donné, en sortant les vraies patates, y en a une qui m'a fait penser à Bono. Je sais pas pourquoi.

Le chanteur qui chante le premier ministre. C'était une pomme de terre de la variété des rates, de la forme de ses lunettes sûrement. C'est aussi une patate que j'ai envoyée aux cochons parce que si j'aime U2, je n'aime pas le gars. S'il y a une panne électrique, ce n'est pas Bono que j'envoie chercher la lampe de poche ni appeler Hydro, et quand le courant revient ce n'est surtout pas à lui que je demande de faire des frites.

J'ai trouvé que la nature était quand même bien faite. Ni Bob Dylan ni Leonard Cohen ne sont venus chanter le premier ministre. En souriant. J'ai continué de creuser, et j'ai finalement rempli la poche de 50 livres. Pour passer l'hiver. Il n'y a aucun cynisme dans ce qui précède. Que des faits. Au potager, il faut connaître les plantes « compagnes ». Celles qui s'aident entre elles. Le contraire est aussi vrai.

Sur toute la récolte de tubercules, j'en garde une trentaine. De la grosseur d'une balle de tennis. Pour le printemps. La patate est intelligente. Elle germe dans la noirceur. Et quand la température le permet, elle fait des tiges et sort de terre. Toute seule. Sans conseillers. Pour la suite.

Je me demande encore, comme citoyen, comment réagir en face des femmes et des hommes politiques ? Comment peut-on faire volte-face sur ses valeurs et convictions ? Les idées, je sais que ça se change. Mais l'identité ? Pourquoi accepte-t-on ce jeu de théâtre ? Est-ce ainsi qu'on doit être gouverné ? Tout ce que j'attends d'un homme ou d'une femme politique : des valeurs et des convictions. Rien d'autre. J'aurais préféré qu'il défende le dictateur « ami de la famille ». Et qu'il ne cède pas à l'hygiène sociale.

Quand on gouverne avec le vent, on n'est pas toujours sûr de la destination. Mais quand on se fie sur des moyennes, on s'en va à peu près dans la moyenne.

Je rêve d'un premier ministre à qui je pourrais faire autant confiance qu'aux patates que j'enterre en mai.

Décembre n'est jamais loin.

Le sol a gelé un peu ces derniers jours. Pas creux. Quelques centimètres. Tout ce qui restait de résistance a fondu. Encore quelques jours d'une belle saison qui s'étire. Même les herbes. Le romarin est toujours fier malgré ses origines méditerranéennes. L'estragon a flétri. Le thym a tenu. La sauge aussi. Et le sol a dégelé. J'en ai profité pour planter l'ail. Pour l'an prochain. C'est à l'automne qu'on plante l'ail si on veut en manger l'été suivant. Quelques jours et il a germé. Les petites tiges vert tendre ont pointé. Pleines de promesses. J'adore les pommes de terre en cocotte au four, avec de l'huile, du romarin et de l'ail. Ça me rassure sur les gens qui nous dirigent.