Je suis la cadette d'une famille de 12 enfants. Ma mère est devenue veuve à l'âge de 47 ans, donc mère monoparentale de 12 enfants... Pas 1, pas 2, pas 3, 12 !

La fin des années 70 et le début des années 80 ont été une période de grande noirceur et de pauvreté pour ma famille. Pourtant, ma mère a consacré sa vie à nous éduquer malgré les innombrables embûches de sa vie.

Même pas encore sortis de l'enfance, nous avons tous appris l'entraide, la solidarité, le partage, le respect et le sens du devoir accompli.

Dans la maison, il y avait des règles à respecter et il était hors de question de songer, même un seul instant, à contredire ou confronter notre chef de famille. Un seul regard, un haussement de ton et nous avions intérêt à comprendre que nous avions dépassé les limites, ses limites.

Ma mère n'a jamais eu recours à la violence physique, sauf avec l'un de mes frères particulièrement agité (pour ne pas dire tannant) avec une mini-graine de délinquance... Elle l'avait à l'oeil ! Sa pénitence lorsqu'il poussait sa chance trop loin était de se tenir à genoux sur le balai : je peux vous jurer que c'était efficace, car encore aujourd'hui, mon frère se souvient de ces moments dans leurs moindres détails !

Ma mère refusait toute forme d'insulte entre nous, frères et soeurs. Elle disait : « Si vous dites que votre frère ou votre soeur est idiot ou idiote, c'est à moi que vous le dites, car c'est moi qui vous ai mis au monde. » Elle exigeait que nous la vouvoyions (« Je ne suis pas votre amie, je suis votre mère »), comme elle exigeait que nous vouvoyions les gens en autorité ou plus âgés et les inconnus.

Dans sa maison, il était hors de question que l'un d'entre nous se paie un petit luxe sans partager (« Nous sommes une famille, un clan, et nous devons agir comme un clan »). Nous n'avons jamais eu l'estomac vide ou des vêtements sales, c'était une priorité pour elle, la propreté.

Elle faisait des miracles avec rien et nous, sans le savoir, nous étions témoins de son dévouement hors du commun... Ma mère ne nous a pas donné le poisson, mais elle nous a montré comment le pêcher.

Elle nous disait : « Lorsque le professeur te demande de courir durant 10 minutes, cours 15 minutes ; de cette façon, tu auras toujours une longueur d'avance sur les autres. »

Ma mère n'était pas la plus affectueuse des mamans : 12 enfants à bercer, à embrasser, à qui dire « je t'aime » au quotidien, elle avait autre chose à faire ! La valorisation personnelle, il nous a fallu la développer nous-mêmes, tout comme notre culture générale et notre apprentissage scolaire.

Ma mère est morte à l'âge de 78 ans, il y a de cela maintenant huit ans. Entre le jour de ses premières souffrances et sa mort, il s'est écoulé un peu moins d'un mois. Le soir de sa mort, nous étions ses 12 enfants près d'elle dans sa chambre, alors que dans la salle d'attente à côté, nos conjoints et ses petits-enfants étaient rassemblés.

Nous étions tous complètement déboussolés malgré le fait que nous étions tous des adultes accomplis. Notre mère, la racine de nos propres vies, celle qui nous a tout montré, celle qui nous a donné tout ce que nous ne pouvions acheter... Nous étions ses 12 enfants près d'elle, et aucun d'entre nous ne pouvait évoquer un mauvais souvenir ou lui faire un seul reproche. Avant de rendre son dernier souffle, elle nous a bénis, geste significatif pour nous exprimer à quel point elle avait fait son possible.

Ma mère n'était pas la plus catholique, si bien que lors de ses funérailles, le prêtre de notre petit village, avec une touche d'humour, l'a qualifiée de « sa seule paroissienne qui employait les mots de l'église plus souvent que lui » ! Elle était tellement colorée, cette douce maman, cette grande grand-maman ! Elle nous a laissé un héritage inestimable : des valeurs. Cet héritage n'a entraîné aucun froid entre nous à sa mort, car il ne se chiffrait pas en dollars.

Maintenant, notre plus grand bonheur, c'est de nous rappeler en souriant tous les moments heureux et moins heureux et surtout ses citations parfois douteuses ! Nos plus beaux moments, c'est lorsque l'on prend le temps de réaliser la chance que nous avons eue d'avoir été ÉDUQUÉS - avec un grand E - par une grande dame qui n'avait même pas terminé sa cinquième année du primaire.

Si je vous raconte une partie de notre vie de façon si intime et ouverte, c'est pour redonner de l'espoir à tous les hommes et les femmes qui décident un jour de mettre des enfants au monde...

Il faut arrêter de s'imposer des pressions sociales inutiles, de se comparer aux autres, de vouloir protéger à tout prix nos enfants contre toute forme de problème. Il faut les laisser vivre leur vie d'enfant, il faut les encadrer, leur donner une stabilité et surtout, leur inculquer des valeurs fondamentales comme le respect, le partage et le dévouement face aux gens qui les entourent.

L'éducation d'un enfant, ce n'est pas une question de dollars, c'est une question de valeurs et d'implication mélangée avec une bonne grosse dose d'amour inconditionnel. Les ingrédients de base pour redonner un sens à notre société devenue de plus en plus malade.

Mon analyse n'a rien de scientifique, mais je crois profondément qu'il faut tout un village pour élever un enfant. Un enfant vient au monde pur, quel que soit son niveau social ; c'est à nous, ses parents, de le guider et lui tracer le chemin du bonheur... simplement, naturellement, sans artifice.