Ce n'est pas la première fois que les Américains ont un chef politique qui est aussi un richissime homme d'affaires.

En 1974, Nelson Rockefeller était nommé vice-président par le républicain Gerald Ford. Rockefeller avait des intérêts dans la plupart des secteurs de l'économie. Au moment de confirmer sa nomination, des sénateurs lui ont demandé comment il ferait pour conseiller le président sur la réglementation du secteur financier étant donné les avoirs de sa famille dans la banque Manhattan Chase. Rockefeller a promis au Sénat qu'en tant qu'homme d'une intégrité irréprochable, il ne laisserait jamais ses intérêts économiques privés brouiller son jugement public.

Aux États-Unis, les deux têtes élues de l'exécutif sont exemptes de toute loi sur la prévention des conflits d'intérêts. En exerçant le pouvoir et en continuant de diriger son empire immobilier, Donald Trump n'enfreint aucune règle. Les pères fondateurs ont cru qu'il était « vain » de supposer que les présidents puissent aisément distinguer leur intérêt privé de l'intérêt public. Un président qui possède des intérêts économiques dans une industrie ou un autre pays doit-il se retirer des décisions touchant ce pays ou cette industrie dans le but d'éviter des conflits d'intérêts ? Le Congrès a clairement répondu non à cette question dans ses lois sur l'éthique. Le pouvoir présidentiel ne saurait être limité par la prévention des conflits d'intérêts.

FIDUCIE SANS DROIT DE REGARD

Cela ne veut pas dire que le président n'est pas soumis à toutes les autres lois contre la corruption. Il a l'obligation de ne pas utiliser le pouvoir public pour favoriser ses intérêts privés. Si cette obligation n'était pas respectée, il ferait alors face à des poursuites criminelles, à la destitution ou à la sanction des électeurs. Pour dissiper les perceptions, les présidents ont suivi la tradition lancée par Lyndon B. Johnson qui, en 1963, avait placé dans une fiducie sans droit de regard ses avoirs dans une station de radio du Texas. Depuis, tous les présidents ont fait de même.

Une fiducie droit de regard, Donald Trump n'a formulé que de vagues promesses à cet égard. Il a parlé de passer les rênes de son empire à ses trois aînés, mais le problème est que ceux-ci agissent en même temps comme ses principaux conseillers politiques et codirigeants de ses entreprises. Ils n'ont pas la distance ni l'indépendance qu'exige une fiducie sans droit de regard crédible.

L'empire économique Trump est beaucoup plus complexe et international que celui des Rockefeller dans les années 70.

Dans ses derniers rapports publics, Trump a déclaré posséder 500 entreprises réparties dans des dizaines de pays. Son empire est aussi d'une nature fort différente : Trump fait de l'argent en associant son nom - qui est une marque commerciale - à des tours d'appartements luxueux, du vin, du parfum, des bijoux, des vêtements, etc. Si le président Trump dégèle les relations avec la Russie, ses projets de développement dans ce pays pourraient être avantagés.

Au contraire, si son discours se durcit à l'endroit des musulmans, ses hôtels et clubs de golf pourraient faire l'objet de boycottage dans les pays du Moyen-Orient. Ses entreprises doivent des centaines de millions aux banques que le gouvernement règlemente. Plusieurs d'entre elles dans le secteur de la construction bénéficieront de la manne de dépenses que le président désigné a promis d'injecter dans les infrastructures. Les possibilités de conflits d'intérêts se déclinent à l'infini. Toutes ses décisions politiques sont susceptibles d'avoir un impact sur ses intérêts financiers, et vice versa.

Comme il le fait depuis son élection, le président désigné peut continuer d'exercer ses fonctions à partir de la Trump Tower et ainsi entretenir la confusion entre ses intérêts privés et le pouvoir public. Celui qui a fait campagne contre la corruption doit donner l'exemple. Trump promet de ne pas utiliser la présidence pour s'enrichir. Mais s'il ne place pas sa fortune dans une véritable fiducie sans droit de regard, sa capacité d'agir dans l'intérêt public sera irrémédiablement compromise.