Si les scientifiques nous ont prouvé que cette notion de race est morte, son enterrement va durer encore des siècles, disait à juste raison Gaston Kelman.

La preuve, la rhétorique incendiaire de Trump a sorti les trolls suprémacistes de leur torpeur. Paradant au grand jour, ils commencent même à aimer la lumière et l'entrée du suprémaciste blanc Steve Bannon à la Maison-Blanche risque de leur donner des ailes.

Mais au fait, c'est quoi exactement un suprémaciste blanc ? Est-ce quelqu'un qui croit que le blanc ou l'absence de couleur est porteuse d'une intelligence génétique ?

Si c'est le cas, il faudrait peut-être fermer les salons de bronzage.

Mais, pour ne pas faire de la pub pour Bannon et ses amis, je vais vous parler des travaux de Rob Boyd, qui est un scientifique affilié à l'Université d'État de l'Arizona et grand spécialiste de la culture cumulative qu'on peut définir comme étant l'intelligence collective d'un groupe ou l'ensemble des connaissances et innovations technologiques jalousement gardées par une société et toujours améliorées par les générations suivantes.

Cette particularité des sociétés humaines traditionnelles explique que même si un individu très brillant quittait son groupe d'appartenance, en débarquant dans un nouvel environnement, il risquerait de devenir un des plus idiots de la place. De façon bien imagée, Boyd visualise ce phénomène avec un exemple mettant en vedette un explorateur européen.

Si vous déposez sur la banquise du nord du Canada un explorateur européen, ou un suprémaciste blanc comme Bannon, il a beau être brillant comme Einstein, il risque de crever rapidement. Pourtant, à quelques kilomètres de lui, les Inuits s'épanouissent très bien dans cet environnement. Où est passée sa supériorité cognitive sur les gens du Nord que les racialistes européens plaçaient toujours en bas de la pyramide de l'intelligence à côté des Noirs et des Amérindiens ?

Permettez-moi ici d'ouvrir une parenthèse pour parler du Britannique Cyril Burt et de ses travaux sur l'hérédité de l'intelligence. Dans sa jeunesse, ce scientifique né en 1883 fera la connaissance d'un proche de sa famille nommé Francis Galton, le cousin de Darwin, fondateur de l'eugénisme qui se vantait de partager avec le père de la théorie de l'évolution l'intelligence de leur ancêtre commun, Erasmus Darwin. Le jeune Cyril Burt aurait donc, pendant son enfance, assisté à des soirées familiales où Galton et d'autres suprémacistes légitimaient indirectement les entreprises coloniales britanniques en prêchant la supériorité de la race blanche.

Une immersion dans ces théories racistes de l'époque victorienne qui a probablement influencé son histoire, car il deviendra, après ses études universitaires, l'un des psychologues dont les idées sur l'hérédité de l'intelligence dicteront des décennies de politiques scolaires discriminatoires en Grande-Bretagne.

De 1909 à 1966, Burt, prolifique chercheur, publiera des articles portants sur des jumeaux monozygotiques, réussissant à démontrer que la génétique expliquait beaucoup plus l'intelligence que le milieu social et l'environnement familial. Il deviendra le psychologue scolaire attitré de la ville de Londres, professeur au University College de Londres, président de la British Psychological Society et sera même anobli par la Couronne britannique.

C'est à sa mort, en 1971, que le monde scientifique découvrira que la grande majorité de ses jumeaux identiques, de ses collaborateurs, de ses assistants de recherche, et même certains cosignataires de ses articles, étaient inventés de toute pièce.

Il a sacrifié idéologiquement l'avenir de milliers de jeunes avec ce que certains considèrent comme la plus grande imposture scientifique du XXe siècle.

L'expédition de Franklin et ses 128 membres d'équipage dans l'Arctique est d'ailleurs bien vivante dans les livres d'histoire pour nous rappeler la véracité de la théorie de Boyd sur la culture cumulative. En 1845, confiant en ses moyens, Franklin, qui voulait être le premier à atteindre le passage du Nord-Ouest, a péri avec ses hommes dans l'Arctique.

Mais, plus clairvoyant et ouvert que Franklin, le Norvégien Amundsen, lui, avait pris le temps d'hiberner pendant deux ans à proximité des campements des Inuits de Netsilik, à l'emplacement du Nunavut actuel. Une immersion pendant laquelle il s'est approprié de façon salvatrice une partie du savoir cumulatif de ces gens du Nord.

Il avait appris entre autres à élever des chiens et à voyager en traîneau, mais aussi découvert que leurs vêtements en peaux étaient beaucoup plus chauds que les habits en grosse laine des Européens. Armé du savoir et de l'intelligence millénaire des Inuits, Amundsen avait réussi, en 1905, à atteindre le passage du Nord-Ouest, là où l'expédition de Franklin avait tragiquement trouvé la mort.

Alors, quand quelqu'un se dit suprémaciste blanc, il parle de quelle intelligence exactement ? Voilà la grande question.  En 1983, l'Américain Howard Gardner a proposé une vision multiforme de l'intelligence, qui reconnaît une intelligence logico-mathématique, corporelle-kinesthésique, interpersonnelle, spatiale, verbolinguistique, intrapersonnelle, musicale-rythmique, existentielle, écologiste et émotionnelle.

Avec autant de possibilités d'esprit, chacun de nous est crédité de sa propre combinaison et l'intelligence des uns s'arrête là où commence celle des autres. Tout ce grand détour historique et, j'avoue, un peu trop dense, pour rappeler que lorsqu'on se dit suprémaciste, le seul domaine dans lequel on est vraiment supérieur, c'est dans l'art de se raconter des conneries.