Cette semaine, nous avons appris que Patrick Lagacé, journaliste à La Presse, a fait l'objet de 24 mandats de surveillance par un corps policier. Ces mandats ont été ordonnés par un juge de paix magistrat afin d'identifier les sources journalistiques du chroniqueur. Comme il fut discuté ces derniers jours, cette intrusion non justifiée brime le principe de confidentialité des sources journalistiques et crée un précédent dangereux pour la liberté de la presse.

Or, dans un article publié par Radio-Canada le 31 octobre dernier, nous avons appris qu'une chercheuse de l'UQAM a été « forcée par la justice de révéler l'identité de ses sources » à une entreprise privée.

En 2012, Marie-Ève Maillé, alors étudiante au doctorat, s'était intéressée à « l'état de la détérioration du climat social » dans certaines MRC où un parc d'éoliennes a été construit. Dans le cadre de sa recherche, elle a interrogé 93 participants afin de connaître leur avis sur ces éoliennes. En 2015, Mme Maillé a témoigné à titre de témoin expert dans un recours collectif intenté par un groupe de citoyens de ces MRC qui disait être gêné par la présence des éoliennes de l'entreprise Éoliennes de l'Érable.

L'entreprise a alors soumis une requête afin d'obtenir toute l'information pertinente relative à la détérioration du climat social pour être en mesure de se défendre en cour.

Le juge donna raison à l'entreprise, ce qui signifie que Mme Maillé doit divulguer l'identité et les propos des 93 personnes interrogées.

À titre d'universitaires, d'étudiants chercheurs et de chercheurs, nous tenons à exprimer notre indignation et notre inquiétude concernant ce cas, puisque nous croyons que cette décision du juge pose un risque sérieux pour la recherche scientifique. Comme pour le travail journalistique, le travail de recherche exige le respect du principe de confidentialité des sources.

Dans plusieurs domaines de recherche, et plus particulièrement en sciences humaines et sociales, les chercheurs s'intéressent au discours des individus. Pour ce faire, le recrutement de participants est essentiel. Des personnes qui pourront dire ce qu'elles pensent ouvertement sous le couvert de l'anonymat, ce principe fondamental de la recherche assuré par des règles d'éthique strictes.

L'histoire de cette chercheuse ainsi que l'affaire Lagacé sont inquiétantes dans la mesure où il est considéré que le travail journalistique et le travail de recherche ne disposent pas d'une immunité de divulgation qui protège le droit fondamental de confidentialité des sources. Il est considéré que l'éthique du journalisme et de la recherche n'est pas une valeur capitale ayant primauté, sauf en cas exceptionnel, sur des enquêtes policières ou des intérêts privés.

Quelles seront alors les garanties pour les sources ?

CRAINTE DE REPRÉSAILLES

Un citoyen importuné par une entreprise privée pourrait préférer se taire plutôt que de la critiquer ouvertement...

Un citoyen ayant peur des représailles pourrait demeurer silencieux au lieu de faire éclater au grand jour un problème qui mériterait d'être entendu par tous...

Il est primordial que l'on se penche davantage sur ces décisions des juges qui risquent de compliquer le recrutement et la participation des citoyens aux études scientifiques et aux enquêtes journalistiques de peur que leur identité et leur propos soient divulgués.

Comme nous le constatons, le débat ne concerne plus seulement le domaine journalistique. Il est plus large et touche aussi la recherche scientifique.

Nous sommons le gouvernement de réaliser des actions concrètes, législatives, afin de protéger et de garantir le principe de confidentialité des sources. Si le gouvernement adopte des mesures en ce sens dans le domaine du journalisme, nous croyons qu'il est impératif qu'il le fasse également dans le domaine de la recherche scientifique.

* Valérie Michaud, professeure agrégée, département d'éducation physique, Université Laval ; Jocelyn Gagnon, professeur, département d'éducation physique, Université Laval ; Sylvie Parent, professeure agrégée, département d'éducation physique, Université Laval ; Luc Nadeau, professeur titulaire, département d'éducation physique, Université Laval ; Benoit Tremblay, professeur assistant, département d'éducation physique, Université Laval ; Kristine Fortier, doctorante en psychopédagogie, Université Laval ; Élise Marsollier, doctorante en psychopédagogie, Université Laval ; Raymond Veillette, chargé d'enseignement, département de kinésiologie, Université Laval ; Pierre Parent Sirois, étudiant chercheur au centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), Université Laval ; Mirza Hodzic, enseignant au collégial et doctorant en psychopédagogie ; Francis Lefebvre, candidat à la maitrise en psychopédagogie, Université Laval ; Marie-Christine Chartier, candidate à la maitrise en psychopédagogie, Université Laval ; Vincent Noël, enseignant et candidat à la maitrise en psychopédagogie ; Grégory Hallé Petiot, candidat à la maitrise en psychopédagogie, Université Laval ; Kaven Levesque, kinésiologue et candidat à la maitrise en administration des affaires, Université Laval ; Helin Dura, étudiante en aménagement et environnement forestiers, Université Laval ; Sébastien Bertrand-Gourdeau, enseignant en éducation physique et à la santé