En ces temps de réflexion sur le salaire minimum, je crois qu'il serait bon de regarder un peu en bas. Je veux dire tout en bas, au bas de l'échelle. On y trouve des individus jetables. Oui, oui, jetables. En 2016. Oh, bien sûr, on ne le dit pas à haute voix. On fait d'ailleurs notre possible pour ne pas les voir.

Vu d'en bas, on se sent regardé de haut. Méprisé. Par des gens qui sont probablement polis et respectueux de leurs collègues de travail. Mais pour une raison quelconque, ces gens se permettent de se lâcher lousse face au petit. C'est une cible parfaite pour leur fiel. Aucun risque qu'il réplique, ça lui coûterait son emploi. Et moralement, dans le fond, on ne le voit pas comme un égal, mais comme un inférieur. Faut se rappeler, il est jetable.

Au mieux tentera-t-on de justifier ce mépris comme la saine colère du consommateur face à la grande entreprise. Ce n'est pas personnel, c'est dirigé envers l'entreprise. Disons que quand tu lèves le nez sur quelqu'un au bas de l'échelle, ça en dit plus sur toi que sur lui.

On dirait que le respect existe en nombre fini, et qu'il ne ruisselle pas jusqu'en bas.

L'avantage, c'est qu'en bas, on ne tombe jamais malade. Du moins, c'est ce que semblent croire les patrons. Pas question d'avoir des congés de maladie. On ne répare pas quelque chose de jetable. On le remplace quand il devient défectueux. Pourtant, les emplois en bas de l'échelle sont généralement crevants, autant physiquement que mentalement. Et peu est fait pour assurer la bonne santé de la main-d'oeuvre.

Prenez les caissières, par exemple. La médecine a démontré que nous ne sommes pas faits pour rester debout sans trop bouger pour une longue période sur une surface dure. Le marketing a démontré que les clients n'aiment pas voir les caissières assises. Cela fait nonchalant. Entre le dos de l'employé et la satisfaction du client, qui, croyez-vous, l'emporte ? Quand on est fini, ce n'est pas la retraite dorée qui nous attend. Après avoir tout donné, après avoir sacrifié sa vie et sa santé, il ne reste qu'à vivoter aux crochets de l'État jusqu'à ce qu'on vous « dompe » dans un CHSLD.

Vu d'en bas, l'avenir n'est jamais loin. L'horizon, c'est la période de paie.

On croit à tort que ceux d'en bas ne connaissent rien en économie. Quand on vit de paie en paie, chaque cent a sa place dans notre budget. Ce qui tue, c'est l'imprévu. Vivre de paie en paie, ça veut dire ne pas avoir de coussin financier pour absorber une dépense imprévue au budget. Si l'auto cafouille, faut la réparer pour continuer à travailler. On se tourne alors vers le crédit. Mais le crédit, plus on est dans le besoin, plus il nous coûte cher. En bas, on ne s'endette pas par choix, mais bien parce que c'est la seule solution.

On dit qu'en bas, on devient un numéro. Ce n'est pas tout à fait vrai. On en devient plusieurs. Ce sont nos statistiques d'efficacité. C'est ainsi que nos patrons nous perçoivent. Si le patron veut améliorer les statistiques de son équipe, il n'a qu'à hausser les quotas et seuils de réussite. Que son équipe se tue à la tâche importe peu, ils sont remplaçables. L'important, c'est qu'il paraîtra bien aux yeux de son patron à lui. Si l'employé ne suit plus le rythme, il y aura toujours un nouveau candidat tout frais pour le remplacer.

Regarder la misère, ce n'est jamais agréable. Mais tant qu'on détournera les yeux, rien ne changera.