Tous s'entendent généralement au Québec et au Canada que la santé est un droit et que tous doivent avoir un accès égal aux soins. Est-ce que cela signifie pour autant qu'il soit abusif de réclamer des citoyens des frais accessoires dans les cliniques médicales ?

Je suis cardiologue. Pendant des années, j'ai pratiqué en milieu hospitalier académique. Puis, il y a neuf ans, j'ai ouvert une clinique de cardiologie à Montréal. Mon but était de faire de la médecine accessible et personnalisée, une pratique axée autant sur la prévention que sur les soins des personnes malades, et une pratique où on prendrait le temps nécessaire pour écouter et régler efficacement les problèmes.

Avec moi, il y a une infirmière, une réceptionniste, et une secrétaire pour transcrire les lettres aux médecins référents. Dans le cadre des visites médicales en cardiologie (soit des nouvelles consultations ou des visites de suivi), nous faisons des examens comme les électrocardiogrammes ou ECG, des épreuves d'effort sur tapis roulant, des moniteurs ambulatoires de tension artérielle et d'arythmie, et des prélèvements sanguins. Nous sommes organisés pour qu'il n'y ait pas d'attente, les patients sont vus en quelques jours et s'il le faut, le jour même. La clinique compte déjà presque 7000 patients, environ 1000 nouveaux patients chaque année.

Les visites sont facturées au ministère de la Santé (la RAMQ). Par rapport aux visites à l'hôpital, le cardiologue en cabinet à l'extérieur de l'hôpital est remboursé par la RAMQ de 3 à 32 $ de plus, dépendant du type de visite. Pour ce qui est des examens, si les patients choisissent de les faire chez nous (et il n'y a aucune pression pour qu'ils le fassent), les sommes qui leur sont chargées sont raisonnables et inchangées depuis trois ans. Sinon, je fais la demande pour qu'ils les fassent en milieu hospitalier. La différence pour le patient : payer pour l'examen fait sur-le-champ et la conduite médicale établie tout de suite en conséquence, contre un certain temps d'attente pour l'examen à l'hôpital (ou CLSC) suivi d'un autre rendez-vous selon le résultat du test.

La grande majorité des patients choisissent de faire leurs examens chez nous et probablement la moitié au moins ont une certaine couverture par leur police d'assurance.

Il y a une exception à cette politique : les électrocardiogrammes ou ECG. Un patient qui est vu pour la première fois doit passer son ECG chez nous au coût de 60 $ (sous réserve d'un remboursement, le cas échéant, par sa police d'assurance). Ensuite, s'il vient de 6 à 12 mois plus tard, il doit encore avoir un ECG, donc au maximum 1 à 2 ECG par année.

Pourquoi avons-nous instauré cette politique des ECG un an après notre ouverture ? En milieu hospitalier, lorsqu'un patient est vu en visite à la clinique externe en cardiologie, il passe un ECG avant de voir le cardiologue. Nous suivons la même pratique. L'ECG reflète en quelque sorte un important aspect cardiaque du patient qui est vu en même temps. Au début du fonctionnement de la clinique, parce que certains patients ne voulaient pas payer pour faire leur ECG chez nous, il fallait leur donner une requête et lorsqu'ils avaient obtenu un ECG, il fallait alors prévoir une deuxième visite. Très fréquemment, les patients n'obtenaient pas un ECG, créant ainsi toute une gestion inutilement compliquée et un suivi qui n'était pas optimal.

Pourquoi facturer 60 $ pour un ECG ? De fait, la comptabilité est simple. Le loyer nous coûte 4500 $ par mois, le personnel, 8000 $, et les dépenses courantes (sans compter le coût des appareils) totalisent autour de 18 000 $ par mois. Si on facturait la RAMQ pour l'ECG, le remboursement serait de 6,95 $ par ECG. À l'hôpital, le cardiologue est payé pour la lecture des ECG par la RAMQ sans qu'il ait à débourser un sou pour le loyer, les appareils, les fournitures ou le personnel. Imagine-t-on que 6,95 $ par ECG puisse soutenir le fonctionnement de la clinique ?

C'est semblable pour les autres examens. Pour une épreuve d'effort faite à l'hôpital, le cardiologue qui la supervise et l'interprète reçoit 48,30 $, encore une fois sans qu'il n'ait à assumer de frais pour la réalisation de cette technique. Pour la même intervention faite à la clinique, je recevrais de la RAMQ 66,60 $. La différence entre ces deux remboursements, soit 18,30 $, serait censée soutenir la clinique. La survie de la clinique serait tout simplement impossible sans avoir recours aux frais accessoires. La RAMQ n'est jamais facturée pour aucun de ces examens faits chez nous.

LE BUREAU MÉDICAL, TOUT UN DÉFI

Le public en général et beaucoup de médecins n'ont aucune idée du défi que constitue le fonctionnement d'un bureau médical en dehors du milieu hospitalier. À l'hôpital, tout est financé par le gouvernement. Les médecins jouissent d'une infrastructure fournie gratuitement et d'une clientèle assurée, sans aucun souci concernant le loyer, les employés à payer et les nombreux frais qui en découlent, les assurances, l'entretien, l'informatique et les communications, l'approvisionnement de tout le matériel, le savon, les gants stériles. La liste est longue.

Le ministre de la Santé vient d'annoncer la ferme intention du gouvernement d'abolir prochainement tous les frais accessoires sous la pression d'individus et de groupes en plus du gouvernement fédéral. Toutes ces personnes et instances croient sincèrement bien faire. Toutefois, elles ne voient pas ou refusent de voir la réalité sur le terrain, prêchant pour une gratuité qui dépasse de loin ce qu'on trouve dans les pays européens jouissant d'un système universel de soins en santé et qui ont pu introduire une certaine souplesse par rapport à ces questions sans compromettre fondamentalement le principe de l'accessibilité aux soins.

Si le gouvernement impose l'abolition des frais accessoires, ma seule option pour éviter de fermer la clinique serait que je ne participe plus à la RAMQ et par conséquent que je n'accepte plus la carte d'assurance maladie comme paiement.

Et d'expliquer à nos quelques milliers de patients qu'ils devront se trouver un autre cardiologue (le temps d'attente pouvant être très long), ou essayer de trouver avec leur médecin traitant une option de rechange (s'ils ont un médecin traitant et s'il est disponible), ou encore, le cas échéant, aller aux urgences, ou enfin dorénavant payer pour me consulter. Au bout de la ligne, qui sort gagnant ?