Montréal-Nord suit-il les mêmes évolutions que les quartiers populaires des banlieues parisiennes ? De part et d'autre de l'Atlantique, la comparaison est tentante : gangs de rue, violence armée, trafic de drogue, limites à l'intervention de la police du fait de diverses difficultés...

Pourtant, n'allons pas trop vite : les problèmes sont très différents, et les réponses qui leur sont apportées tout autant.

Il y a d'abord une question d'échelle.

À Montréal-Nord, il est aujourd'hui question d'un seul individu armé, alors qu'en région parisienne, la criminalité des bandes (on ne parle guère de gangs) mobilise vite de véritables groupes qui n'hésitent pas à agresser violemment la police. Ainsi, le 8 octobre dernier, une voiture de police a été incendiée et ses quatre occupants agressés avec une rare violence, un policier étant encore entre la vie et la mort.

À Montréal-Nord, il suffit d'un individu qui n'a même pas été interpelé par les policiers pour défrayer la chronique et intéresser les médias, alors que dans les banlieues parisiennes, il en faut beaucoup plus pour mériter ne serait-ce que quelques lignes dans la grande presse.

Dans les banlieues françaises, les trafiquants font régner la loi sur des territoires dont il est dit souvent qu'ils sont perdus pour la République, ce qui ne semble pas être le cas au Québec. Sans la drogue, dans certains quartiers, l'économie s'effondre, le désordre menace : les responsables policiers hésitent à mettre en cause la paix sociale et le minimum local de ressources qu'apporte la drogue aux familles, et pas seulement aux dealers.

Enfin, il n'y a pas en France des opérations antidrogue du type de celle qui a abouti à la mort de Jean-Pierre Bony, et les émeutes collectives n'ont pas pour point de départ la lutte de la police contre la drogue. Elles sont le plus souvent déclenchées par des contrôles au faciès ayant mal tourné. Les morts les plus fréquentes liées à la drogue sont le fait de règlements de comptes entre truands et ne doivent rien à l'intervention policière -  Marseille est connue plus que toute autre ville sous cet angle.

Par ailleurs, si en France la presse rend compte des difficultés des forces de l'ordre à agir dans certains quartiers, celles-ci ne se présentent généralement pas comme liées à une extrême prudence de chefs soucieux de s'assurer que la légalité est parfaitement respectée et que l'enquête apporte des éléments suffisants pour arrêter un suspect : le problème est plutôt dans les lenteurs et les lourdeurs bureaucratiques qui prennent un temps considérable dans les commissariats une fois le suspect interpelé.

Il tient surtout, selon les policiers, au comportement de la justice, qu'ils accusent fréquemment de remettre en liberté bien trop facilement les suspects qu'ils lui transmettent. La police française a de nombreux griefs à formuler, et en son sein, les critiques vis-à-vis du pouvoir ne manquent pas, comme on le voit actuellement avec les manifestations qui se succèdent quotidiennement et dans plusieurs villes depuis le 16 octobre dernier.

Ils se plaignent d'effectifs insuffisants et du manque de moyens matériels, ils se sentent méprisés, non reconnus par le pouvoir, ils évoquent les nombreux suicides qui caractérisent leur profession actuellement, et se disent aussi épuisés par le surcroît de travail qui est le leur depuis les attentats terroristes de janvier 2015 à Paris : ce n'est pas exactement ce qui préoccupe leurs homologues québécois.

Mais les policiers disent se sentir fragiles sur le terrain, y courir trop de risques - un thème présent dans le dossier québécois.

Et il y a déjà une trentaine d'années, depuis l'apparition de SOS Racisme en 1984, qu'ils se sentent surveillés par les médias, l'opinion et leur hiérarchie dès lors qu'ils pourraient être soupçonnés de racisme - une hantise qui semble se retrouver au Québec.

Il y a également une sorte de décalage temporel : les émeutes consécutives à des événements (ou à la rumeur inventant ou amplifiant de tels événements) comme la mort d'un jeune à l'occasion d'un contrôle de police ont été fréquentes en France dans les années 90 et 2000. Elles sont devenues rares, comme si la France était passée dans une nouvelle phase de la dégradation de ses « banlieues », alors que le Québec en serait encore au temps des émeutes urbaines. Les policiers qui travaillent à Montréal-Nord semblent hésiter à se rendre à certains endroits. Leurs homologues français dans les banlieues populaires ont déserté les territoires difficiles, dans lesquels ils ne pénètrent qu'en force, sur le mode du commando massif.

Disons-le donc d'une phrase : les problèmes à Montréal-Nord semblent d'une part moins intenses, et d'autre part différents de ceux qui agitent les banlieues françaises depuis un bon tiers de siècle. On permettra à un sociologue français de suggérer aux lecteurs de La Presse de ne pas s'en plaindre !