À l'école primaire que fréquente maintenant ma fille, et que j'ai moi-même fréquentée, les parents sont rapidement happés par la rumeur ambiante.

« Amélie le fait. » « Je sais, Mathis aussi ! » De quoi s'agit-il ? De l'examen pour l'école primaire internationale. Les écoliers de 7 ans sont ainsi inscrits par leurs parents pour faire un examen de sélection qui leur permettra, une fois en troisième année, de se sauver de leur école de quartier et de bénéficier d'une scolarisation réservée aux meilleurs. Le temps économisé grâce à la cadence accélérée d'apprentissage permet à l'école d'offrir des projets spéciaux axés sur « l'international », mais surtout de faire miroiter aux parents qu'ils offrent « le meilleur » à leurs enfants. Mais se demande-t-on ce qui arrive à ceux qui ne partent pas ?

Voyez-vous, notre école est pauvre. En fait, les parents de ses élèves le sont ; avec un indice de faible revenu de 9 sur 10, nous sommes donc dans le 20 % des écoles les plus pauvres du Québec. Elle accueille bon nombre d'immigrés récents (une vraie école internationale). Elle accueille également plus que sa part d'écoliers handicapés et en difficulté. Alors plusieurs parents essaient de la contourner. Cela mène à son lot de conséquences dommageables : des parents désemparés parce que leur enfant sera séparé de ses amis, des écoliers qui échouent au test et qui comprennent qu'eux ne partiront pas, des familles prises tous les matins dans le trafic au lieu de marcher tranquillement jusqu'au coin de la rue. Nous avons eu le perron de l'église comme lieu de rassemblement. Il restait l'école primaire. Elle nous divise désormais.

Ces écoles internationales, comme tous les nouveaux projets particuliers, sont la réponse de l'école publique à l'attrait du privé (difficile de parler de « privé » quand il est au secondaire financé à plus de 70 % par nos impôts). Cette stratégie de concurrence a des conséquences gravissimes.

Les écoles ayant le privilège de pratiquer l'écrémage viennent chercher nos meilleurs écoliers. Comme si Michel Therrien recevait chaque octobre la visite du commissaire de la LNH : « Désolé, mon Michel, tu dois me céder ton premier trio. C'est pour une équipe d'étoiles. »

Or la présence des meilleurs élèves est le facteur majeur de la réussite scolaire pour tous. Un comité d'experts mandaté par le ministère de l'Éducation écrivait ceci en 2014 : « Ainsi, les élèves qui sont plus à risque d'échouer pour des raisons liées à leur statut socioéconomique ou à leur origine ethnique, bénéficient significativement de la présence d'élèves forts dans leur classe, alors que les élèves forts ne sont pas pénalisés par la composition hétérogène de leur classe. »

Si on ajoute l'écrémage du privé, ce n'est pas pour rien qu'on se retrouve avec une diminution des résultats de l'ensemble des élèves québécois dans les examens internationaux du PISA (baisse en lecture et sciences, stagnation en mathématiques). Et je ne parle même pas du maintien des inégalités sociales avec leur coût astronomique à moyen et long terme.

La dévalorisation de la classe ordinaire achève de détériorer l'image de l'école publique et contribue à jeter les parents dans les bras du privé. Dans la dynamique actuelle, les projets sélectifs développés par l'école publique dans le but de concurrencer le privé nous vouent à un grave échec collectif. Il faut mettre fin à l'écrémage scolaire, au public et au privé. Nos enfants ne réussiront qu'ensemble.