Le décès d'un grand Canadien nous rappelle souvent l'existence des deux solitudes. Alors que l'accident tragique qui a coûté la vie à Jim Prentice a provoqué un torrent de témoignages au Canada anglais, à peu près rien ici au Québec, sinon quelques nouvelles brèves. Et pourtant, Jim Prentice mérite pleinement que l'on signale sa contribution au gouvernement du Canada.

Lorsque j'ai fait le saut en politique, en février 2006, Jim se trouvait également dans le premier cabinet qu'avait formé Stephen Harper. Le premier ministre lui avait confié le ministère des Affaires autochtones. Mais plus encore, Harper en avait fait son second. En tant que premier répondant pour tous les problèmes du gouvernement, il devait souvent tabler des recommandations au premier ministre. 

Jim avait le profil idéal pour cette fonction : discrétion, jugement et capacité exceptionnelle de bâtir des consensus. Il n'avait jamais postulé pour l'emploi et n'a jamais abusé du pouvoir qui s'y rattachait. 

Quelques semaines à peine après notre élection, Jim a dû jongler avec un dossier épineux : l'entente financière relative au réseau d'écoles autochtones géré par des communautés religieuses. Des milliers d'enfants séparés de force de leurs parents dans un effort de déprogrammation. 

L'entente avait été conclue par le gouvernement Martin quelques mois avant le début de la campagne électorale. Notre élection fragilisait l'entente. Plusieurs collègues de Jim (dont moi) ignoraient les circonstances autour de ce réseau d'écoles. D'autres considéraient les modalités financières démesurées (2 milliards de dollars). 

Je n'oublierai jamais son plaidoyer pour que notre gouvernement fasse le geste noble et digne. Jim avait réussi un coup de force en ralliant tous ses collègues autour de l'entente. Mieux encore, il nous avait servi une leçon de vie enrobée d'un cours d'histoire. Avant même d'accéder au gouvernement, il avait fait preuve d'un grand courage. 

Ce député d'Alberta avait été l'un des trois députés conservateurs à voter en faveur de la légalisation du mariage entre personnes du même sexe. Son bureau a été la cible de manifestants et a reçu d'innombrables lettres de représailles. Jim croyait que l'État n'avait pas à s'immiscer entre deux personnes qui souhaitaient se marier. Ses convictions n'allaient pas être subordonnées à un quelconque calcul électoral. 

Nonobstant l'émoi causé par son vote, il a été réélu avec 56 % des voix à l'élection suivante. Jim avait une grande sensibilité pour le Québec. Il avait été un acteur important au sein du Parti progressiste-conservateur avant sa fusion avec l'Alliance-canadienne et possédait un très bon réseau d'amis au Québec. Il avait pris plusieurs cours de français et caressait l'ambition de pouvoir prononcer un discours entièrement en français. 

Durant notre période à Ottawa, Jim a été l'un des ministres les plus respectés par la haute fonction publique. Courtois et d'excellente écoute, il était toujours intéressé par le point de vue des fonctionnaires. Il connaissait très bien les limites de ses compétences et n'hésitait jamais à chercher conseil.

Jim caressait le désir d'être premier ministre du Canada. Il en avait très certainement le talent. Son retrait de la politique en 2010 pour rejoindre le secteur bancaire allait lui permettre d'acquérir d'autres talents. La victoire majoritaire du Parti conservateur à l'élection fédérale en 2011 l'a précipité vers la chaise de premier ministre de l'Alberta, où des circonstances économiques et politiques l'ont chassé du pouvoir. 

Jim a servi sa communauté de Calgary et le pays tout entier avec respect et dignité. Au moment où le Parti conservateur cherche un nouveau chef, les candidats devraient s'inspirer de son héritage. La politique est un métier exigeant et ingrat. Mais quand il dresse dans son chemin un homme de la trempe de Jim Prentice, on ne regrette rien.

Photo Adrian Wyld, Archives La Presse canadienne

Michael Fortier