Le passage de l'ouragan Matthew sur Haïti et l'exercice de reconstruction qui en résultera ont signifié la fin du règne sans partage des ONG sur l'aide internationale. Trop confortables, elles n'ont pas vu se pointer les Beltway Bandits, des entreprises privées, installées à Washington, déterminées à participer à l'invasion tranquille d'Haïti.

Avant le tremblement de terre de 2010, les ONG américaines avaient le monopole sur l'aide consentie par le gouvernement de leur pays. L'efficacité de leurs interventions dans l'urgence reste indiscutable. Sur ce point, les entreprises privées ne rivalisent pas avec elles. Pas encore. Cependant, quand il s'agit de reconstruction, les ONG ont largement donné dans l'improvisation.

Pendant que les Beltway Bandits tentaient de démontrer que la sempiternelle présence des ONG n'était justifiée que par leur capacité de pérenniser la pauvreté, en septembre 2010, le gouvernement Obama, face à des résultats hautement discutables, a demandé à la United States Agency for International Development (USAID) de travailler concrètement à l'éradication de l'extrême pauvreté.

L'agence a mis en place USAID Forward. La logique étant retrouvée, le développement devait se réaliser en partenariat avec les premiers concernés, soit les gouvernements, la société civile et le secteur de l'éducation des pays affectés.

Mais quand il a été question de donner des contrats aux entreprises privées de ces pays, la contre-offensive des Beltway Bandits a été plus que virulente.

Ces entreprises privées américaines ont créé le Council of International Development Companies (CIDC). Le CIDC a dit que ses membres sont les mieux placés pour faire travailler des Américains. Elle a promis de porter les valeurs américaines, de défendre les intérêts américains et de promouvoir la démocratie américaine.

Avec cette argutie, la CIDC a obtenu des résultats spectaculaires. Comme de fait, en 2013, les entreprises haïtiennes n'ont reçu que 1 % de l'aide à la reconstruction.

Pour définitivement éclipser les ONG, en plus de promettre des résultats spécifiques et mesurables, le CIDC a mis en place des mécanismes pour démontrer que l'argent de l'aide, l'impôt des Américains, serait dépensé dans l'économie américaine.

Résultats encore plus spectaculaires, le Center for Economic and Policy Research dit que les ONG qui, en 2010, avaient obtenu 53 % de la cagnotte, n'ont reçu que 37 % des 270 millions de dollars dépensés en Haïti par la USAID en 2013. En moins de trois ans, les Beltway Bandits ont empoché 50 % de la tontine.

Avec des contrats de plus de 92,5 millions de dollars, c'est Chemonics International qui a remporté la tombola haïtienne. Néanmoins, en septembre 2012, le rapport d'audit du Office of the Inspector General of the USAID a constaté que cette entreprise avait lamentablement salopé tous ses projets. Mais, bien représentée à Washington, en 2015, tout aussi efficace qu'une ONG pour pérenniser la pauvreté, Chemonics International a été financée par la USAID pour poursuivre ses activités à valeur quasi nulle auprès de planteurs haïtiens.

LA FIN D'UNE ÈRE

L'ère des ONG tire à sa fin. Roya Wolverson a écrit dans le Newsweek du 24 novembre 2011 que, pour l'ensemble des pays aidés, entre 2006 et 2010, les 10 entreprises privées clientes de la USAID les plus importantes ont reçu des contrats évalués à 5,8 milliards dollars soit le double de ce que les 10 principales ONG ont reçu pour la même période.

L'ouragan Matthew offre aux Beltway Bandits l'occasion rêvée pour compléter la première phase de la privatisation de l'aide internationale. Il forcera les ONG à se retrancher dans le marché risqué et imprévisible de l'aide d'urgence. En attendant, en Haïti comme ailleurs, bien qu'elle sauve des vies, l'aide internationale, sous toutes ses formes, n'a toujours pas permis de stopper la trajectoire à sens unique de ceux qui plongent dans la pauvreté.

* L'auteur a publié, en 2015, un livre sur l'état de la démocratie dans le monde.