Nous sommes en 1965-1966 et nous vivons l'enthousiasme des grands projets du maire Jean Drapeau dont le côté visionnaire est à l'origine de la Place des Arts, de l'Exposition universelle de Terre des Hommes et de la construction du métro de Montréal. Sous l'impulsion du maire Drapeau, de Robert Lapalme et de l'artiste Jean-Paul Mousseau, les artistes sont enfin invités à participer en créant un art pour le public. Côté art, il est difficile d'être plus public que le métro de Montréal.

Je vis à Varennes sur le bord du fleuve avec ma compagne Jeanne Molleur où je suis à réaliser ma première Suite hiver dans la foulée d'un stage à Calgary avec le maître japonais Toshi Yoshida. Dans la solitude de mon atelier sur le bord du grand fleuve, je dessine l'hiver et sa lumière à la découverte de la nordicité.

Un matin, je reçois un coup de téléphone de mon ami Frédéric Back qui travaillait à l'époque aux services graphiques de Radio-Canada, lors des débuts de la télévision. J'y avais également été engagé comme messager en 1953 et, ensuite, comme dessinateur graphique. J'y ai d'ailleurs réalisé mes premiers films d'animation tels que l'introduction de l'émission Les Couche-tard avec Jacques Normand et Roger Baulu, un autre exemple d'art destiné au grand public.

Frédéric me demande de venir l'assister pour la réalisation d'une murale sur la musique destinée à la station de la Place des Arts.

Cette demande tombe bien, je suis dans une misère certaine, ne voulant vivre que de mon art et ne vendant que quelques gravures à Toronto et à Montréal, de peine et de misère. C'est alors mon seul métier pour vivre.

Mais ce qui m'interpelle le plus dans la demande de mon ami Frédéric, c'est la relation directe entre l'art et le public. Cela fait déjà partie de ma culture, ma première formation en art s'étant déroulée de 1955 à 1957 au Mexique, pays de l'art public et des muralistes. J'y ai découvert cette relation entre l'art et le public sur le magnifique campus de l'Université de Mexico qui innovait par ses murales et son architecture influencée par Le Corbusier ; de quoi déniaiser un jeune Québécois de 19 ans en 1956-1957 !

J'ai reçu ma première formation à l'école des beaux-arts La Esmeralda de Mexico où enseignèrent Diego Ribera et Frida Kahlo. Mes cours de murale étaient donnés par Pablo O'Higgins. Il nous disait : « Il faut penser social, penser public et penser révolution. »  Me voilà donc, 10 ans après cette immersion, alors qu'on m'offre de travailler à un art social et public. Qui plus est, avec mon ami Frédéric.

LA COULEUR

Chaque jour, je roule de Varennes à la Côte-Sainte-Catherine avec ma petite Volkswagen. Je me dirige vers l'atelier-garage de Frédéric Back où nous réalisons cette oeuvre, jour après jour. Son immense curiosité et sa culture encyclopédique sont des traits qui, chez lui, m'ont toujours impressionné. Il s'informait sur tout comme, dans ce cas-ci, sur l'histoire de la musique, de ses grands compositeurs et de ses interprètes qui ont marqué le monde de la musique au Québec.

Je suis alors assistant d'artiste pour la seule fois de ma carrière. Je lui demande comment je peux l'aider et il me répond : « Par la couleur. » Possédant un dessin narratif extraordinaire, il raconte l'histoire et dessine la murale avec ses personnages importants dans l'histoire de notre musique. Pendant ce temps, je m'occupe de la couleur, toujours sous sa direction. Les mois passent et ainsi apparaît une grande murale de verre, cet immense vitrail qui orne désormais le métro de Place des Arts, depuis 50 ans déjà.

Quand j'y passe aujourd'hui, j'y vois l'oeuvre de Frédéric Back, de l'homme qui, en plantant des arbres, a récolté deux Oscars. Mon ami était philosophe et environnementaliste. Il était aussi un artiste engagé et un grand humaniste. Je suis fier de l'avoir assisté dans la réalisation de cette oeuvre qui a été vue par des millions de personnes. Les gens ignorent aujourd'hui, pour la plupart, qui en est l'auteur. De toute façon, ce n'est pas important, c'était avant tout pour le public.