Les pseudosciences ont eu la cote dans les médias cette semaine. Communication avec les morts, pouvoir de guérison par l'esprit, et quoi d'autre encore. Le débat, médias aidant, tend à se scinder en deux camps irréconciliables : les scientifiques sceptiques d'un côté, les croyants convaincus de l'autre. Une question sociologique mérite pourtant d'être posée : pourquoi adhère-t-on à des croyances, même fausses ?

Suivant les travaux du sociologue Raymond Boudon sur le sujet, je dirais que les individus qui adhèrent à des croyances non vérifiées scientifiquement ont de « bonnes » raisons de le faire. Les adhérents aux pseudosciences ne sont pas des gens dupés par l'irrationnel. Ils sont rationnels et calculateurs à leur façon.

Dans la vie de tous les jours, nous adhérons davantage à une idée parce qu'elle nous est utile que parce qu'elle est vraie.

Ainsi, penser que je communique réellement avec mon père décédé m'est plus utile, et surtout réconfortant, que de penser qu'il s'agit du fruit de mon imagination, ou que je fabule. Cela me permet dans les faits de réduire la complexité et l'incertitude inhérentes au monde qui m'entoure : « Pas de trouble, mon père va m'aider ! »

Il est certes surprenant de constater que certains individus consacrent du temps et de l'énergie à démontrer qu'ils communiquent « vraiment » avec les morts, que les fantômes existent ou que l'astrologie fonctionne. De ce point de vue, ils ne sont pas moins rationnels que les scientifiques. Comme eux, ils sont blindés par de « bonnes » raisons.

Il faut cependant apporter une nuance. Face à des idées fausses et des croyances sans fondement scientifique, l'individu pense paradoxalement qu'il raisonne comme un scientifique. Autrement dit, il se croit dans le vrai. Mais dans les faits, il raisonne comme un avocat : il ne veut pas perdre sa cause !

Nous déployons tous, au quotidien, des stratégies sociales afin d'éviter le plus possible de nous retrouver en contradiction avec nos idées et nos croyances. Nous ne voulons pas perdre la face ! Cela est surtout vrai chez les tenants des thèses pseudoscientifiques. Ils ont bien raison d'avoir tort !

L'individu confronté à une dissonance entre ses croyances et le monde extérieur va aussi chercher à modifier son univers social pour le rendre compatible avec ses croyances. Autrement dit, il est plus « coûteux » socialement de s'entourer de gens qui nous contredisent continuellement que d'être en compagnie de ses semblables. Cela explique sans doute pourquoi les astrologues évitent les astrophysiciens !

UNE BATAILLE PERDUE D'AVANCE

Le débat entre sciences et pseudosciences est un combat perdu d'avance. Dans le sens commun, les fausses croyances ont généralement la vie plus facile que les vérités scientifiques. Encore une fois : l'utile possède une longueur d'avance sur le vrai. Il faut du temps et surtout de la rigueur pour démontrer la véracité d'une affirmation. Les médias, avec raison, ne disposent pas du même temps que la science. De plus, prendre le camp de la complexité et de l'incertitude, comme c'est souvent le cas pour les scientifiques, est moins rassurant que de choisir celui de l'utile et du simple. Pour démontrer l'utile, un témoignage souvent suffit.

Que reste-t-il alors pour les sciences ? Leur pratique méthodique et rigoureuse peut, elle aussi, apporter leur lot de réconfort. À un autre niveau, il est très utile de traquer le faux, pour démontrer le vrai. De ce point de vue, les sciences auraient sans doute avantage, lorsque placées face aux pseudo-savoirs, à prendre la voie de la compréhension et de l'explication des mécanismes tant psychologiques que sociologiques qui les sous-tendent, plutôt que de tenter de se battre en vain contre Goliath.