J'habite à deux pas du parc Jarry. C'est un formidable microcosme de Montréal dans toute sa diversité.

J'aime bien observer les adolescents de toutes origines qui jouent au soccer. L'intégration, ça commence souvent autour d'un ballon.

Or La Presse nous apprend que le controversé prédicateur Hamza Chaoui utilise ce même ballon pour attirer les jeunes. Remarquez que tous les missionnaires de toutes les religions savent comment s'y prendre pour recruter de nouveaux adeptes. Le problème ici n'est pas tant la manière, mais le message. Hamza Chaoui enseigne que « la démocratie est un système de mécréance et qu'il faut le boycotter ». Ses propos obscurantistes ont défrayé les manchettes plus tôt cette année.

Il y a quelque chose de profondément dérangeant dans la photo tirée de l'internet qui accompagne le texte de La Presse  [et présentée ci-contre]. À l'ombre des grands arbres du parc Jarry, on y voit le prédicateur entouré de jeunes disciples. Là, les images se télescopent dans mon esprit. Hamza Chaoui porte la tenue islamique typique des salafistes que j'ai croisés un peu partout en Égypte lors d'un tournage pour l'émission Second regard.

C'était en 2012, au moment où ces intégristes islamistes terrorisaient les chrétiens coptes et les musulmans libéraux.

En Égypte, les salafistes considèrent que les Frères musulmans ne vont pas assez loin dans leur projet d'islamisation de la société. Ce sont des islamistes « pressés ».

Pendant que l'on ergote sur le port du burkini, un homme à la barbe ostentatoire continue de propager un islam de misère auprès des jeunes dans un des parcs les plus conviviaux de Montréal. Bien sûr, il ne viendrait à personne l'idée de réclamer l'interdiction du port de la barbe puisque les barbes sont à la mode ces temps-ci. Comment départager les barbes islamiques des autres ? Alors quoi ? Ça nous ramène aux questions essentielles: comment endiguer les discours « anti-intégration » porteurs des germes de la haine ? Comment prévenir la radicalisation ?

S'ENFONCER DANS LA MISÈRE

En regardant encore et encore la photo, j'oublie le prédicateur pour me concentrer sur ses disciples. Je vois de jeunes êtres humains qui aspirent probablement à vivre en paix avec eux-mêmes et avec les autres. N'est-ce pas là l'essence de toute démarche spirituelle, que l'on soit croyant, agnostique ou athée ? Mais ici, au pied de ces grands arbres, il n'y a pas d'espace pour la spiritualité, le doute, la liberté de penser.

Des jeunes qui auraient besoin d'aide pour trouver leur place dans la société rencontrent ici un guide qui va les enfoncer dans toutes les misères possibles : intellectuelle, affective, sexuelle et sociale. S'ils adhèrent à la doctrine de ce prédicateur autoproclamé, ils risquent de se couper d'eux-mêmes et du monde qui les entoure.

Dès lors, ils finiront par croire que leur isolement et leurs souffrances sont causés par la méchanceté de tous ceux qui ne sont pas comme eux.

S'ils ne le pensent pas, des prédicateurs viendront leur dire qu'ils sont des victimes et qu'ils le seront fatalement toute leur vie parce qu'ils sont musulmans. Et puis d'autres encore viendront leur dire que la seule issue à toutes ces souffrances, c'est le djihad.

C'est comme ça qu'on tue le rêve, l'espoir et la créativité chez de jeunes gens qui auraient autrement beaucoup à offrir en s'investissant dans toutes sortes de projets pour tenter d'améliorer la marche du monde. Ça mérite une réflexion plus large qu'une réaction politiquement opportuniste sur le burkini. J'espère de tout coeur que des Montréalais de toutes origines uniront leurs voix pour dire qu'ils ne veulent plus jamais voir Hamza Chaoui prêcher sous les arbres ou ailleurs.

*Jocelyne Allard a travaillé pour l'émission Second regard de 1997 à 2014.