Promenez-vous sur la place à Lower Manhattan, et vous entendrez le mémorial avant même de le voir - un souffle à travers les chênes. Ce n'est pas le vent, mais l'eau. À l'emplacement de chacune des tours, nord et sud, un grand vide : un vaste carré bordé de quatre murs d'eau qui tombe en cascade dans un bassin percé au milieu d'un trou où l'eau disparaît. Le mémorial est noir sur noir, mais l'eau lance des reflets. La lumière du soleil se marie à la buée pour créer des fragments d'arcs-en-ciel qui dansent au passage des nuages.

Le lieu grouille de touristes, ils achètent des souvenirs, les guides donnent des explications, les ouvriers de la construction prennent leur pause tout autour du périmètre. Et pourtant, même si c'est un lieu de crime, le mémorial n'est pas morbide. Les arbres l'adoucissent, tout comme la présence d'enfants qui n'ont aucun souvenir de ce matin-là, il y a 15 ans aujourd'hui.

Un musée souterrain se trouve tout près, si l'on veut se replonger dans cette journée fatidique. Mais l'ampleur du drame est difficile à saisir complètement si l'on n'a jamais vu les tours intactes, si l'on n'a jamais levé la tête haut dans le ciel entre ces deux colonnes à en avoir le vertige. Et si l'on n'était pas au centre-ville ce jour-là et qu'on n'a pas eu à fuir vers d'autres quartiers ou à traverser un pont, et si l'on n'a pas eu la mémoire aveuglée par la fumée, la poussière, l'odeur et l'incompréhension.

Le mémorial a le pouvoir de vous ramener tranquillement non pas vers l'horreur, mais peut-être vers les larmes.

Surtout à la vue des milliers de noms, gravés dans cinq rangées de bronze entourant les fontaines, tel un collier à cinq rangs, des vies reliées par le travail ou par le hasard, mais frappées par un horrible destin.

Marchez lentement et laissez vos yeux s'imprégner de ce grand malheur. Jeremy « Caz » Carrington, Cantor Fitzgerald ; Deepa Pakkala, Marsh & McLennan ; Uhuru Houston, police portuaire.

Un jour, peut-être, la technologie nous permettra de nous tenir près d'un nom et d'écouter une histoire, de restituer une vie, de voir l'entrelacement des êtres aimés au cours d'une vie et puis, soudain, la cassure. Qui étaient ces morts ? Où la vie aurait-elle pu les mener ? William Mahoney, pompier, Fire Department Rescue 4 ; Michael Quilty, Ladder 11. Heather Malia Ho, chef pâtissière au Windows on the World.

Bon nombre d'entre eux n'avaient aucune idée de ce qui se passait ni à quoi ces attentats mèneraient. Les années de guerre sans fin, les catastrophes outremer, le nouveau mode de vie. Que voir ? Que dire ? Craindre tout.

Fort heureusement, le mémorial ne tombe pas dans l'apitoiement. Au contraire, il fait appel à la dignité et à l'honneur - des victimes qui ont téléphoné chez elles, laissant des messages d'amour, des premiers intervenants qui ont bravé la fumée et les flammes. Beaucoup de courage, ce jour-là, et un leadership exemplaire dans les jours et les mois qui ont suivi. Rudy Giuliani, qui suscitait le calme et l'unité ; George W. Bush, qui rendait hommage aux travailleurs et aux personnes tombées dans les décombres.

Quinze ans ont passé, et l'ombre du 11-Septembre peut encore planer, mais on s'émerveille toujours devant la bonté des gens. Et le mémorial du 11-Septembre - sobre, profond - est presque miraculeux, étant donné son enfantement torturé par les comités. Il y a quelques années, deux maires, Michael Bloomberg et Giuliani, discutaient en groupe de ce que devrait être le mémorial. Giuliani souhaitait quelque chose de grand sur ce « sol sacré ». Bloomberg était favorable à la création d'une école, pas d'un monument.

« J'ai toujours pensé que la meilleure façon de rendre hommage à quelqu'un est de construire un monde meilleur à sa mémoire. Je crois en l'avenir, pas au passé. Je suis impuissant devant le passé », a-t-il affirmé.

Il avait raison sur ce que nous ne pouvons pas faire. En revanche, nous sommes nombreux à pouvoir faire ceci par une belle journée de septembre : prendre le métro jusqu'au Lower Manhattan. Parcourir à pied un coin de rue ou deux, nous frayer un chemin à travers la zone de construction, longer le corridor délimité par des chaînes. Déambuler autour de chaque trou et voir les noms défiler. Il y en a trop pour s'arrêter, mais lisez ceux que vous pouvez et pensez aux autres. Faites plusieurs fois le tour, en méditant, à l'instar d'un pèlerin, sur l'énormité de la perte, le passage des ans. Et sur ce que nous, les vivants, pouvons faire pour construire un monde meilleur, digne de leur sacrifice.