Quand P.K. Subban s'est dit « all about fashion » dans un message publicitaire, j'ai su qu'il serait échangé. Prémonition puérile ? Pas tant. Entre Therrien, Bergevin et P.K., c'était un combat de coqs. Le gagnant aura été celui qui, à défaut d'avoir la cravate la mieux agencée, tenait le stylo.

Comme 10 autres clubs lors du repêchage de 2007, le Canadien a passé son tour deux fois sur ce talent consensuel. Phoenix et St. Louis l'ont laissé passer quatre fois et Edmonton trois. C'est que P.K. - fils de basketteur de haut niveau - joue au hockey comme y jouerait un arrière de la NBA : il défend, monte le ballon et marque. Il fait tout, pendant tout le match.

Tous savaient que gérer le jeu inclassable de P.K. serait un « paquet de troubles ». Le fond de cet échange, il est là. Et puis il y a l'accessoire : gérer P.K. Si P.K. n'était pas moulé dans le canon culturel du Black Prince, serait-il hué dans 29 amphithéâtres, humilié par ses coéquipiers (qui l'ont ignoré pour le trophée King-Clancy) et exclu de son équipe nationale ? Mais surtout : aurait-il été sorti de Montréal ?

P.K. n'est pas le premier hockeyeur noir à Montréal ou ailleurs. Mais il est le premier, de niveau élite de surcroît, à afficher l'éthos de la culture sportive afro-américaine (par mimétisme, car ses origines sont autres).

L'archétype du Black Prince athlétique, c'était Muhammad Ali, « the greatest of all time » autoproclamé. Il faut lire la nécrologie du Sports Illustrated pour constater à quel point le Canadien de 2016, c'est l'Amérique blanche des années 60 qui ne sait que faire avec cet iconoclaste, et qui, de fait, le condamne à l'exil pour l'aimer.

Usain Bolt, « There you go. I'm the greatest », le Black Prince contemporain, avec son assurance fanfaronne, ses conquêtes et ses poses d'archer (tiens, tiens) n'effraie plus personne, sauf les white boys battus d'avance sur la piste mais pas seulement.

Ce narcissisme est peu toléré dans les sports collectifs.

Cam Newton, cette sympathique diva aux danses de célébration à la Roger Milla, cause des remous dans la NFL, malgré la prépondérance d'athlètes afro-américains. Le poing levé de Tommie Smith n'est jamais très loin dans ce milieu archiconservateur.

Le prototype du Black Prince est toutefois courant dans la NBA. Ces gars s'habillent en froufrous mauves à la Jimi Hendrix le jour de leur repêchage, portent des bijoux à faire pâmer une drag queen, sont friands d'apparitions à Hollywood, et personne ne s'en formalise. La NBA vend cette marque culturelle qui s'intègre dans un ensemble fait de rap, de hip-hop, de R & B ou, dans sa variante plus corsée à la Stagger Lee, de gangsta, de « chars de pimp » et de blaxploitation - où navigue un Floyd Mayweather.

Michael Jordan, Kobe Bryant - même LeBron James, qui pleure pour Cleveland, mais qui centre cette trame narrative sur SA personne, SON retour, SA ville - gèrent LEUR carrière, LEURS marque et commanditaires, LEURS championnats.

« There's no I in team, but there's an I in win », a dit Jordan. Si Sidney Crosby en pense autant, il n'osera jamais le suggérer.

P.K. - seul hockeyeur à porter une casquette à son effigie - demande ce marketing individualisé à la LNH. Bonne chance.

L'exil à Nashville pour P.K. est une mauvaise blague. On a comparé P.K. à « Elvis ». Elvis c'est Memphis, mais passons. Elvis était un passeur de la culture des Black Prince pour un public blanc à une époque où la ségrégation régnait encore avec une brutalité inouïe. Nashville, capitale du nouveau country vanille, est l'épicentre de la contre-culture (pour ainsi dire) blanche aux États-Unis. Mais P.K. fera comme Von Miller : il se mettra un chapeau de cowboy et ils l'adoreront.

Montréal - et pas seulement le hockey - n'est pas prêt à accueillir un Black Prince. Si P.K. avait pu passer 20 ans à Montréal avec un club bâti autour de lui, il aurait réalisé sa promesse d'adolescent faite le 22 juin 2007, qui aurait fait sourire Ali, Jordan et Bolt : « You guys made the right choice. »

PHoto Associated Press, The Tennessean

« Nashville, capitale du nouveau country vanille, est l'épicentre de la contre-culture blanche aux États-Unis. Mais P.K. fera comme Von Miller : il se mettra un chapeau de cowboy et ils l'adoreront », écrit Philippe Navarro.