La moitié des Québécois ne lisent jamais ou presque jamais, et si l'on ne change rien, encore plus d'enfants vont se transformer en adultes non lecteurs.

J'ai déjà énuméré (Au bonheur de lire, Québec Amérique) 10 raisons pour inciter tous les enfants et tous les adultes à découvrir le plaisir de lire. En voici quelques-unes.

Quand on aime lire, on réussit mieux à l'école. Les habitudes et les habiletés de lecture demeurent le premier indicateur des performances scolaires.

Nous avons plus que jamais besoin de lire pour fonctionner en société. Ceux qui sont faibles en lecture éprouvent des difficultés à améliorer leurs connaissances et leurs compétences tout au long de leur existence, au travail comme dans la vie personnelle.

Lire déverrouille l'imaginaire. Or, c'est à grands coups d'imaginaire, en générant des idées, en inventant des solutions, qu'on emmieute l'univers, quel que soit notre métier.

Lire rend heureux. Quand on aime lire, on n'est jamais seul, jamais pauvre, et on peut toujours voyager.

Tous les enfants, à quelques très rares exceptions près, apprennent à lire à l'école. Malheureusement, apprendre à lire ne suffit pas. Pour devenir lecteur, il faut apprendre à aimer lire. Ceux qui n'en retirent pas de plaisir délaissent la pratique.

La lecture, c'est comme l'amour. Tous les enfants, tous les adolescents et tous les adultes peuvent aimer. Mais pas la même personne et pas de la même façon. Tous les enfants, tous les adolescents et tous les adultes peuvent aimer lire. Mais pas le même type de lecture et pas de la même façon.

Pour qu'un enfant devienne lecteur, il faut réunir trois exigences :

Que la lecture soit immédiatement accessible ;

Qu'il y en ait pour tous les goûts (en littérature jeunesse, la richesse de l'offre actuelle est fabuleuse) ;

Qu'un adulte fasse le pont entre les livres et l'enfant afin qu'il découvre un premier coup de coeur.

Nous ne remplissons pas ces simples exigences. Très peu d'enfants peuvent se rendre seuls à leur bibliothèque municipale et leurs parents ne la fréquentent pas. Au primaire, le fonctionnement des bibliothèques scolaires repose encore sur le bénévolat des profs et des parents. Les collections sont pauvres et désuètes. Dans les salons, des enseignants me demandent d'autographier un livre qu'ils paient de leur poche même s'il est destiné à leur bibliothèque de classe.

Lorsque je rencontre des enfants dans les écoles, je demande aux élèves de 10 ans en milieux non défavorisés : où peut-on acheter un livre ? La majorité des enfants n'en ont aucune idée. Les autres y vont de deux réponses : Walmart ou Costco. Certains me disent qu'à leur avis, un livre, ça ne s'achète pas. Une minorité d'enfants connaît le sens du mot « librairie ».

Au Québec, trop d'enfants ratent le premier maillon essentiel en lecture : ils ne se font pas raconter d'histoires. Selon ma pratique des 40 dernières années, 70 % des parents québécois ne lisent jamais un livre à voix haute à leur enfant. Ailleurs au Canada, cette tradition étant mieux ancrée, les parents pratiquent davantage la lecture à haute voix. Les incitatifs à la lecture sont d'ailleurs généralement plus nombreux et plus efficaces en milieu anglophone. Même au Québec, leurs bibliothèques font moins pitié et sont mieux pilotées.

La Fondation Chagnon a conçu et subventionné une des initiatives les plus efficaces en matière de promotion de la lecture au Québec au cours des dernières années avec ses publicités incitant les parents à apprivoiser les bébés-livres avec leur enfant. Malheureusement, la campagne visait uniquement les enfants en très bas âge.

Or, la magie du livre s'installe vraiment lorsqu'un enfant est séduit par le pouvoir des mots et des images grâce à ces oeuvres d'art méconnues que sont les livres illustrés pour enfants conçus pour être lus à haute voix. C'est là que s'opère le premier vrai déclic, lorsqu'à 3 ou 4 ans, un enfant peut comprendre et apprécier une histoire racontée, lorsqu'il découvre qu'un livre (quel que soit son support) peut étonner, faire rire, rêver, voyager et vivre une vaste gamme d'émotions. À condition de savoir lire...

10 MINUTES PAR JOUR

Il suffit de 10 minutes par jour pour faire mal aux statistiques et changer déjà un peu le monde. Comment ? En lisant à haute voix. Un bon livre bien choisi ne demande qu'à être ouvert. Et il existe encore des gens capables de nous conseiller, entre autres dans les bibliothèques municipales et les librairies. Après, le mode d'emploi est simple. On colle un enfant contre soi, on ouvre le livre et on lit à haute voix. Le plus merveilleux, c'est que la magie opère aussi bien pour l'enfant que pour l'adulte lecteur.

Les livres n'ont jamais été aussi puissants. Nous sommes constamment bombardés, le plus souvent sur écran, par de courts textes qui réclament une réponse, une action, par des images conçues pour harponner, captiver, toujours de manière effrénée.

Ceux qui ont la chance de découvrir le bonheur de lire dans ce paysage culturel essoufflant sont séduits par ce que le livre offre de différent : on y voyage à notre rythme en s'inventant des pauses et des silences pour savourer, réfléchir ou rêvasser, dessiner des images, créer des parfums, se perdre et se retrouver...

Ma première proposition pour renverser la donne ? Ouvrons tous un livre et lisons à haute voix à un enfant ou un adulte dès aujourd'hui.

Puis, dans la foulée du mouvement du 12 août où l'on invite tous les citoyens à acheter un livre québécois, créons une journée du « lire à haute voix ». Une journée où tous les parents, tous les enseignants, tous les oncles, les tantes, les grands-parents, tous les amoureux, tous les amis, lisent à voix haute pendant 10 minutes à quelqu'un de leur choix. Qu'en dites-vous ?

Note : L'organisme Lire et faire lire regroupe des bénévoles qui lisent à haute voix à des enfants dans les écoles.