Je me rappelle que les grands corridors blancs de l'INIS m'intimidaient. Je revenais d'un an passé dans les bidonvilles de Tegucigalpa, au Honduras. Je travaillais là-bas à l'adaptation du Petit Prince, avec des petits culs frondeurs et pieds nus. J'étais partie avec une vieille caméra (une SVHS - pour faire sourire ceux qui s'y connaissent). Et j'avais filmé l'aventure : de la boue à la scène.

Monique Simard, alors productrice chez Virage, m'avait encouragée à faire de ces images toutes croches un film qui raconterait quelque chose comme une grande histoire.

C'est donc avec ce premier film dans la poche que je marchais dans les longs corridors si blancs de l'INIS, en route vers la dernière étape d'admission : l'Entrevue.

J'avais 20 ans. Et le vertige. L'impression de ne pas être à ma place, d'avoir encore de la boue sous les semelles.

En rentrant dans la pièce, un géant : André Melançon.

Ce jour-là, il était pour moi celui qui déciderait si je ferais des films.

Je ne me rappelle plus des questions. Mais je me rappelle avoir la certitude de ne pas y répondre. D'être à côté de moi. Encore en voyage. Trop loin de l'essentiel.

Je me rappelle aussi de ses yeux à lui, de l'autre côté de la table. Des yeux en lunes fines, un éclat pris dedans. Un regard d'une tendresse infinie. Un abîme de douceur qui m'invite à me déposer.

J'ai répondu aux questions. Pas très bien.

Je me suis levée pour partir. J'ai franchi la porte. Puis non. D'une volte-face spontanée, je suis rentrée à nouveau et j'ai plongé dans ces yeux-là parce que je savais que la chute y serait douce.

« Je veux faire des films. » Je l'ai dit dans sa langue à lui. La seule qui existe. Celle qui parle vrai. Celle qui a des racines profondes.

Je l'ai vu me recevoir.

J'ai été admise et j'ai fait des films.

André Melançon a été mon professeur, enseignant avec finesse et passion la direction d'acteurs.

Les corridors blancs de l'INIS sont devenus les miens grâce à lui. Et quand je l'y croisais, je serrais le grand ours dans mes bras comme on s'abreuve à une source. Ses bras vastes s'ouvraient sur le monde, offrant une décharge de bonté.

Une bonté unique, immense, rare.

André Melançon était un humain géant, qui s'intéressait pour vrai aux gens.

UN SCÉNARIO INACHEVÉ

Peu avant sa mort, il m'aura demandé, un sourire dans la voix, comment vont mes amours, ma famille. Et il m'aura légué un scénario inachevé. Une histoire qu'il n'aura pas eu le temps de porter à l'écran.

Alors je me revois à 20 ans devant le géant, lui adressant une prière : je veux faire des films.

Et je remercie la lumière qu'il aura posée sur les vivants. Lui promettant de m'appliquer à en faire autant.

Cher André, je t'aime. Et je ne suis pas toute seule.