À l'heure des bilans sportifs des différents comités olympiques nationaux et médias (nombre de médailles obtenues, disciplines en vogue ou en perte de vitesse selon les pays, organisation générale des Jeux olympiques, etc.), il m'est apparu nécessaire de tenter d'en faire une première esquisse sociologique.

Le sport a parfois été ce qu'on pourrait appeler un terrain de résistance ou de contestation pour dénoncer certaines injustices sociales. À Rio, cette tribune fut uniquement utilisée par le médaillé d'argent du marathon Feyisa Lilesa qui profita de la conférence de presse pour dénoncer le traitement des Oromos par le gouvernement éthiopien. Nous soulignons d'ailleurs son courage.

Ce ne fut pas le cas des autres sportifs, et plus spécifiquement des Afro-Américains qui n'ont, par exemple, aucunement utilisé la médiatisation des Jeux olympiques pour dénoncer les injustices, les inégalités sociales ou encore la violence envers les Afro-Américains (le mouvement Black Lives Matter), comme l'avaient fait il y a quelques semaines certains athlètes de la WNBA et de la NBA.

Il semble donc que le poing ganté de noir et la tête baissée de John Carlos et Tonnie Smith demeureront encore les symboles de la résistance sportive afro-américaine pour au moins les quatre prochaines années.

En fait, la communauté des athlètes afro-américains s'est distinguée par deux de ses compatriotes : Simone Biles en gymnastique et Simone Manuel en natation.

Ces deux parcours de vie ont en commun d'avoir permis de renouveler le mythe du rêve américain.

Celui-ci a besoin régulièrement d'histoires singulières dans un contexte d'inégalités sociales toujours croissantes. Autrement dit, tout se passe comme si tout était encore possible au pays de l'oncle Sam en ce qui a trait à l'ascension sociale.

Tout ne serait qu'une question de persévérance et de motivation pour gravir les échelons.

Nous sommes très loin du sport comme terrain de résistance évoqué précédemment, mais plutôt davantage dans la production « d'athlète-modèle » pouvant servir de réservoir idéologique à l'American Dream. Cependant, rappelons que si le sport peut être un véritable ascenseur social, cela ne concerne qu'une infime minorité d'athlètes (afro-américains ou autres, d'ailleurs).

HISTOIRES INDIVIDUELLES

Un autre élément qui m'est apparu sociologiquement intéressant est celui des Jeux olympiques comme producteur d'histoires individuelles. En effet, dans une société où chacun doit de plus en plus se mettre en scène, écrire sa propre vie ou encore être le propre auteur de ses jours, comme dirait Amélie Nothomb, le sport permet de raconter des histoires (souvent très belles et émouvantes, d'ailleurs) : amour entre athlètes dépassant les frontières (Ashton Eaton et Brianne Theisen-Eaton), athlètes ayant vaincu ou se battant contre le cancer (Thomas van der Plaetsen et Fabienne Aline Saint Louis) ou contre la dépendance  (Michael Phelps), etc.

Certains sociologues qualifient les sociétés contemporaines occidentales de sociétés biographiques. Les Jeux olympiques en sont un exemple frappant.

INDIVIDUALISATION DES AFFAIRES

Je terminerai par ce qu'on pourrait appeler l'individualisation des affaires. Quelques jours avant le début des Jeux olympiques, le rapport McLaren a mis en exergue l'existence d'un système de dopage organisé et étatisé en Russie.

Contrairement à la recommandation de l'Agence mondiale antidopage (AMA), l'ensemble des sportifs russes ne fut pas exclu par le Comité international olympique (CIO), mais seulement un certain nombre et ce, selon les décisions de chaque fédération sportive.

Une autre affaire est celle de l'arrestation de Patrick Hickey, président du Comité olympique irlandais en plein coeur des compétitions, en raison de la vente de billets au noir, et ce, à des fins d'enrichissement personnel. Ici aussi, pas de remise en cause et de critique du système en tant que tel, comme si les problèmes de triche et de corruption ne pouvaient être compris et jugés qu'individuellement.

Les Jeux olympiques sont souvent décrits comme le reflet social de nos sociétés. Je dirai qu'ils sont aussi un analyseur social permettant de mieux saisir certaines tendances actuelles que l'on pourrait résumer par la citation suivante : « Décris-moi les Jeux olympiques et je t'expliquerai dans quelle société nous vivons. »