Il faut incontestablement repenser la rémunération des médecins tant au niveau du mode que du montant. La rémunération à l'acte, la plus commune, est archaïque et vient de l'époque où le médecin était payé par le patient à la visite.

L'impression que le paiement est pour un « acte » précis et ne couvre rien d'autre a des effets insidieux, comme par exemple ne pas régler de problèmes au téléphone, imposer des frais accessoires, moins déléguer, etc. Les médecins qui travaillent en clinique reçoivent un supplément par acte pour payer le matériel, les employés, les frais de bureau. Que ces frais de bureaux soient liés au nombre d'actes est un peu farfelu - c'est l'infrastructure qui coûte cher dans une clinique ; voir plus de patients ne génère généralement pas beaucoup plus de frais. Que ces frais soient payés par le médecin est aussi à reconsidérer.

La rémunération à l'acte semble l'antithèse de la prise en charge globale de la complexité des patients (ce qui n'empêche pas de nombreux médecins de très bien le faire). Elle s'insère dans le paradigme où la productivité est définie par le nombre de patients vus et non par la pertinence ou la qualité des soins. Au contraire, le médecin payé à l'acte gagne si le patient revient pour un autre problème et perd au change s'il voit un patient avec de nombreux problèmes de santé (pire, de santé mentale) plus difficiles à prendre en charge de façon « productive ». La rémunération à l'acte a un autre grand désavantage : elle ne favorise en rien le travail interprofessionnel, le décourageant, même, diront certains, en ne permettant pas au médecin d'être compensé pour les actes délégués.

Il faut repenser le système et se demander à quoi sert la rémunération des médecins. Au Québec, on utilise depuis plusieurs années la rémunération pour changer la pratique. On voulait plus de médecins travaillant à l'hôpital ? On ampute leur rémunération s'ils n'y vont pas. On a promis à chaque Québécois un médecin de famille ? On donne des primes à l'inscription de patients, sans égard pour le suivi. On veut qu'ils suivent plus de patients vulnérables ? Encore des primes. La rémunération devient bien plus qu'un moyen de rétribuer le travail du médecin, elle devient une mesure de contrôle du comportement professionnel, avec plus ou moins de résultats probants. Pourtant, il existe d'autres façons de diriger la pratique, en donnant le soutien nécessaire et en faisant appel à l'éthique professionnelle et le besoin de bien servir la population et la société.

On peut se demander si la médecine entrepreneuriale aurait évolué comme elle le fait maintenant sans la rémunération à l'acte.

Verrions-nous tant de mégacliniques, de frais accessoires, de recherche de profit ? Un médecin payé à salaire ou à la capitation pourrait difficilement se constituer en société et bénéficier des mesures fiscales de l'incorporation.

Quels autres modes à envisager ? Plusieurs parlent de salariat en première ligne, mais les gouvernements successifs ont découragé ce type de rémunération (disponibles que pour ceux qui travaillent dans les établissements publics) en promouvant fortement le passage vers la rémunération « mixte » (taux horaire plus bas avec un pourcentage des actes effectués). Une autre avenue à explorer, la capitation, gagne en popularité dans plusieurs systèmes en première ligne. Le médecin y est payé par population de patients inscrits à son nom, qu'il a la charge de garder en santé en étant accessible.

Une chose est certaine, il faut bien réfléchir avant d'agir. S'il nous semble clair que la rémunération à l'acte n'est pas idéale pour la grande majorité des pratiques médicales, il faut écouter les experts sur ce qui serait le mieux. Le type de rémunération à privilégier n'est pas une question d'opinion. Il faut cesser de modifier le régime actuel et plutôt penser à une refonte globale. C'est nécessaire pour donner aux patients les soins et l'accès auxquels ils ont besoin et qu'ils méritent, et conserver notre système public.