Chers enseignants de littérature et de philosophie au collégial,

Je tiens fortement à vous faire part d'un témoignage personnel à propos d'une méthode qui, se réclamant de la pédagogie moderne, tend au contraire, me semble-t-il, vers l'antipédagogisme.

Il y a quelques jours, alors que je discutais avec un élève, ce dernier s'est mis à prononcer un tas d'éloges envers son enseignant de philosophie. Instinctivement, j'ai cru pertinent de lui poser quelques questions à ce sujet. Au cours de cette discussion, il m'a dit ceci : 

« Mon prof déteste donner des lectures à ses élèves. Il nous a dit que ça servait à rien, car de toute manière, nous ne les faisons jamais. Puis, il affirme que de toute façon, il va en parler durant le cours. »

Les propos de cet enseignant m'ont mise dans un état de rage (du moins, pas loin de là). Voici à quoi ressemblait ma réponse, d'une voix sincère et révoltée : 

« Puis toi, tu trouves ça correct ? Pour moi, ça n'a aucun sens et je t'explique pourquoi. Comment un professeur soucieux des besoins de ses élèves peut songer à faire une telle affirmation ? Par chance que tous les enseignants n'agissent pas de la sorte, car autrement, combien d'élèves pourraient affirmer avoir été éduqués ?

« Ne pas faire lire d'oeuvres, ou même uniquement des extraits de textes à des élèves, c'est comme vouloir apprendre à son enfant à faire un lancer frappé au hockey, sans lui laisser la chance d'essayer. Et pire, c'est de lui expliquer verbalement, puis de faire le geste à sa place, en supposant qu'il ait réellement appris. Ou à l'inverse, c'est surestimer ses capacités de pédagogue. N'est-ce pas complètement irrationnel de penser que le simple fait d'expliquer à ses élèves, âgés pour la plupart de 17 à 21 ans, le sens d'un texte (qu'il soit philosophique ou littéraire) est suffisant ?

« N'importe quel étudiant universitaire le dira, moi la première : bien comprendre les textes, c'est essentiel ! Qu'importe que tu ne te diriges pas vers des études littéraires, la compréhension de textes, ça vaut pour tous les domaines d'études. D'autre part, je vois mal comment un tel raisonnement peut émerger dans l'esprit d'un enseignant de philosophie. Dis-moi, as-tu payé pour un cours de philosophie ou simplement pour entendre une série de discours philosophiques ?

« Tout comme en littérature, il me semble primordial d'initier les étudiants à lire individuellement des oeuvres dites "classiques". D'abord, pour élargir leur corpus et ensuite, pour faire comprendre aux élèves que souvent, leurs interprétations initiales ne s'avèrent pas si justes. C'est pour cette raison qu'un enseignant doit remplir son devoir, c'est-à-dire celui d'imposer un certain corpus à ses étudiants. Par la suite, il se doit également, pour leur bien, de leur présenter les interprétations qu'il juge les plus exactes possible. »

Mon interlocuteur me regardait d'un air terrifié. Quelques instants plus tard, j'ai compris que son expression faciale exprimait la compréhension de l'ampleur du désastre causé par son enseignant qu'il aime tant.

Vous ne rêvez pas, chers enseignants, c'est bien une étudiante qui a défendu la thèse selon laquelle l'enseignant de littérature, ainsi que celui de philosophie, se doit d'imposer un corpus à ses élèves. Il est vrai que certains élèves ne feront jamais (ou ne feront que partiellement) vos lectures imposées, mais il s'agit là de votre devoir. Ce n'est pas le genre de choses pour lequel il est pertinent de lâcher prise. Abdiquer signifierait encourager la paresse intellectuelle de vos élèves.