Pourquoi Sophie Grégoire-Trudeau se fait-elle appeler ainsi, considérant que les conjoints mariés au Québec ont, aujourd'hui, l'obligation de conserver leur nom de naissance après le mariage en vertu de la loi (article 393 C.c.Q) ? La journaliste Marie Allard signait récemment dans La Presse un dossier sur le nom des femmes mariées, s'interrogeant au passage sur celui de la « première dame du pays ».

L'occasion est belle de reprendre la balle au bond pour s'interroger sur la question à l'aune d'une éventuelle réforme du droit familial québécois. C'est d'ailleurs l'une des questions abordées par le Comité consultatif du droit de la famille (CCDF), présidé par le professeur Alain Roy, qui a livré son rapport en juin dernier. Le CCDF propose en effet que dans le cadre d'une réforme du droit familial, l'actuel article 393 C.c.Q. soit reconduit, en plus d'être formellement étendu à l'ensemble des relations conjugales - mariage ou union de fait. 

Il suggère également, dans le cas où un conjoint en ferait la demande au directeur de l'état civil, d'interdire que lui soit attribué le nom de son conjoint au motif d'usage.

Aussi, la voie administrative ne pourrait plus, comme c'est parfois le cas actuellement, faire office de chemin de contournement pour qu'une conjointe se voit attribuer le nom de son conjoint.

De fait, tous les conjoints, peu importe le type de relation conjugale dans laquelle ils sont investis, seraient ainsi « contraints » de conserver leur nom de naissance. Tel est d'ailleurs l'état actuel du droit au Québec. Or, peut-on véritablement parler de « contrainte », comme le laissent planer certains ? Peut-on suggérer qu'une majorité impose sa vision à une minorité, qui s'en trouve ainsi frustrée ? Faut-il, au nom de l'égalité et de la liberté, monter au créneau pour décrier une telle règle ?

Certes non. Ce serait gravement méconnaître les fondements du droit familial québécois que de brandir le spectre de la « contrainte » et d'invoquer une forme d'impérialisme de la majorité. Car, rappelons-nous que le contexte historique dans lequel s'inscrit l'adoption, en 1980, de l'article en question visait à affirmer l'égalité formelle entre époux. Un contexte où la femme mariée avait retrouvé sa pleine capacité juridique depuis moins de deux décennies - en 1964. Un contexte où, affranchie du joug de la puissance maritale et paternelle, elle pouvait enfin prétendre être une personne à part entière au sein de la famille. Un contexte où le divorce judiciaire était permis au Québec depuis à peine 10 ans, à l'initiative d'un Trudeau pour qui « l'État n' [avait] rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ».

En ce sens, pour paraphraser les propos du CCDF, bien que l'égalité entre époux ne puisse dépendre du maintien ou de l'abrogation de l'article mentionné plus haut, il ne faut certainement pas minimiser la portée symbolique d'une telle disposition. Il est d'ailleurs paradoxal de constater que l'obligation faite aux conjoints de conserver leur nom après l'union contribue à la réaffirmation de leur identité et individualité, ce à quoi participent les valeurs d'autonomie et de liberté invoquées par ceux qui dénoncent l'article 393 C.c.Q. En outre, une telle obligation s'explique par des raisons pratiques, alors que les unions sont aujourd'hui de plus en plus précaires. Aussi, la charge administrative que représenteraient, pour l'État, des changements de noms successifs, apparaît difficilement soutenable.

Le nom de famille, qui participe de l'état d'une personne, devrait donc logiquement prétendre à une certaine pérennité. Les recommandations du CCDF s'inscrivent dans cette ligne de pensée. Ces recommandations sont d'autant justifiées dans un contexte où rien n'empêche que dans ses rapports sociaux (plutôt que juridiques), une personne prenne le nom de son choix, sous réserve de la responsabilité qu'elle pourrait encourir auprès des tiers qui en subiraient préjudice.