Récemment, les scientifiques ont découvert que les molécules d'ADN sont très résistantes et peuvent voyager à très haute vitesse et à très haute température dans l'espace.

À partir de là, certains ont entrevu une occurrence salvatrice nouvelle pour l'être humain : plutôt que de simples primates évolués, nous serions en réalité des descendants d'extraterrestres intelligents, à grosses têtes et à grands yeux, dont l'ADN, voyageant dans l'espace via des poussières de comètes, se serait retrouvé par hasard sur Terre il y a des millions d'années.

Il a bien fallu que quelque chose d'extraordinaire se passe quelque part et à un moment donné pour expliquer le surplus d'intelligence dont nous sommes les seuls porteurs sur Terre, disent-ils. Car comment expliquer autrement que par ce lien héréditaire spécial notre grande supériorité intellectuelle sur tout le règne animal et végétal ?

Si elle ne vient pas de Dieu - dont l'existence est de nos jours remise en question -, alors il faut bien, selon eux, qu'elle nous ait été transmise autrement, soit à travers un tel processus génétique aujourd'hui déclaré scientifiquement plausible, celui d'un transfert d'ADN spécifique venant d'ailleurs.

Fièrement rompus à l'idée de partager cette suprématie biologique fraichement acquise, de puissants radiotélescopes seront alors utilisés à la recherche du moindre signe des descendants de nos lointains ancêtres.

On espère ainsi, grâce à la collaboration scientifique de notre illustre parenté enfin retrouvée, pouvoir un jour régler les problèmes démographiques et environnementaux qui nous assaillent sur Terre.

Pour être franc, il faut également dire qu'en général, nous n'avons jamais trop apprécié les théories darwiniennes nous concernant. L'idée de se voir réduit au rang de singes évolués ne nous a jamais plu. Dans le passé, la religion nous avait plutôt habitués à nous voir comme des êtres uniques pourvus d'une âme immortelle et d'une intelligence supérieure.

Se sentant maintenant riches de cette ascendance aussi prestigieuse que noble, plusieurs rêvent déjà, de concert avec elle, de prendre les rênes de l'univers et de le gérer à leur guise, tels d'ingénieux petits dieux...

Mais n'allons pas trop vite en affaires ! D'abord, qu'est-ce donc que l'intelligence, dont il est ici question, et que l'on souhaite partager avec tant d'ardeur avec nos cousins extraterrestres ?

Cette ambition semble impliquer l'idée que l'intelligence est quelque chose de notre ressort et que nous la contrôlons.

Or, l'intelligence n'est d'abord pas en nous, mais bien plutôt partout autour de nous. Le moindre brin d'herbe est gonflé d'intelligence et il y a plus d'intelligence dans une fourmi que dans tous les ordinateurs du monde. Le saumon qui remonte la rivière ou l'oie blanche qui s'élance dans le ciel à l'automne sont aussi partie prenante de cette intelligence immanente.

L'intelligence que peut quant à lui produire un être vivant dit évolué, quel qu'il soit et quelle que soit la grosseur de sa tête, se limite essentiellement à une activité cérébrale en interaction avec son milieu. Et quant aux connaissances de l'esprit, qu'elles soient scientifiques ou autres, si élevées paraissent-elles, elles ne sont en définitive que des moyens sophistiqués d'assurer encore davantage l'emprise sur le milieu.

D'ailleurs, à ce sujet, rappelons à tous nos nouveaux Don Quichotte de l'espace qu'en moins de deux siècles, l'humain, avec sa belle grosse tête enflée, a su briser l'équilibre qui régnait sur Terre au sein du monde du vivant depuis 1,3 milliard d'années.

Et, chose curieuse, malgré toutes nos savantes connaissances actuelles, nous continuons impunément à le faire : 11 000 espèces d'animaux, soit le cinquième de la gent animale, sont en 2016 en voie d'extinction suite à l'exploitation éhontée de nos ressources !

Il est donc loin d'être évident que la collaboration d'autres énergumènes de notre genre et porteurs de cette intelligence supérieure soit souhaitable. En fait, cette recherche éperdue de doubles de nous-mêmes, vivant à des dizaines d'années-lumière de nous, correspond plutôt, je crois, à l'expression d'un narcissisme aussi aveugle que ridicule.

À vouloir se mettre la tête dans le sable, certains, imbus de science-fiction et surtout en mal de croyances, en sont venus à s'imaginer de lointains spectres sauveurs qui ne sont en réalité que les pendants éthérés de leur mégalomanie oisive.