À Mélaric, quand mes élèves ont quitté les lieux en larmes, j'étais là. En larmes comme eux. J'y perdais un emploi duquel j'étais amoureuse. Mais surtout, j'ai vu 75 hommes fragiles se faire larguer. Des hommes que j'aime. Des hommes qui n'ont, pour la majorité, jamais été aimés comme ils auraient dû l'être.

Je les ai vus perdus. Je les ai vus pleurer. Je les ai vus en colère. Une colère bien maîtrisée. Apparemment, ils avaient retenu quelques-unes des leçons que les enseignants, comme les intervenants, tâchions de leur apprendre : La violence ne paie pas (comme Dimitri). Les gars, je ne sais pas où vous êtes. Mais j'ai besoin de vous dire toute ma fierté.

Toute mon admiration, parce que vous avez été braves. Pour certains d'entre vous, vous avez osé montrer votre peine et votre fragilité pour la première fois. Les larmes ont remplacé les poings. Je vous ai trouvés beaux.

Je vous ai trouvés grands. Grands de subir un coup de plus et d'être restés calmes. Parce que vous ne méritiez pas ça. Parce que tel n'était pas votre besoin.

Du rejet, vous en avez vécu pour la plupart plus que l'on peut humainement en tolérer. Mais vous êtes restés tels que je vous ai vus, tous les jours : des hommes, des vrais.

J'ai vu les plus forts d'entre vous prendre les plus faibles dans leurs bras. J'en ai vu partir ensemble, encouragés de la nouvelle amitié qu'ils avaient liée et confiants de pouvoir tenir, ENSEMBLE.

HUMANITÉ

Ce que j'ai vu à Mélaric mardi dernier, c'est l'ampleur de l'humanité que seule la catastrophe peut montrer. Peu de personnes vous ont vu sous votre vrai jour. Vous m'avez accordé ce grand privilège. Merci. Merci pour les « ginger ales », les « chips » et les « cashews » que vous avez sacrifiés sur l'hôtel de l'exil, dans le triste décor de vos sacs-poubelle servant à transporter vos quelques effets personnels. Il faut avouer que nous avons réussi à trouver des moments de bonheur, même dans l'épreuve. C'est tout comme je vous l'ai appris.

Plusieurs d'entre vous nous ont quittés, pieds et poings menottés, dans l'autobus du centre de détention. Ce fut un choc énorme pour moi comme pour vous. Parce que votre place n'est pas en prison. Je vous ai vus indignés, mais nobles. Sachez que mon indignation est égale à la vôtre.

Comme moi, vous avez probablement vu les commentaires désolants de certaines personnes dans les médias, disant que vous étiez à Mélaric pour vous payer des vacances. Vous et moi, on le sait. Je vous ai appris les préjugés. Vous savez que ces personnes devraient mieux s'informer avant de dire des bêtises, comme vous devrez le faire avant d'en dire vous-mêmes à l'avenir. Ce n'est qu'ainsi que vous vaincrez la stigmatisation qui vous a tant fait souffrir. Parce que nous, on sait. On sait tout le poids du rejet. Parfois de la famille, parfois de l'école, souvent des deux. Mais j'ose espérer que la société finira par se rattraper et par vous accorder l'attention et les soins dont vous avez besoin. J'y travaillerai, sans relâche.

Tenez bon ! Ce que la vie a manqué à vous donner, tâchez de vous le donner à vous-mêmes et aux autres. Vous en êtes tous capables.

Mon coeur est avec vous, où que vous soyez. Je vous aime.