Ingénieurs corrompus, enseignants incompétents, policiers violents, politiciens malhonnêtes, assistés sociaux paresseux : un vent de généralisation abusive souffle sur notre société.

Les médecins étaient relativement épargnés jusqu'à récemment. À présent, il est devenu de bonne guerre de les dénigrer : ils ne seraient pas assez performants, trop payés et sans doute coupables de tricheries pour ce qui est de la facturation à la RAMQ. De plus, ils se prennent, dit-on, pour les seigneurs et maîtres de notre système de santé.

Essayons d'analyser calmement ces accusations.

PAS ASSEZ PERFORMANTS

Un postulat simple veut que la productivité du médecin se mesure en fonction du nombre de patients rencontrés par unité du temps. En fait, ce type de productivité appliqué à la pratique médicale serait probablement le pire de tous. Le temps qui devrait être alloué à la rencontre dépend beaucoup du problème - ou des problèmes - de chaque personne. Une otite chez un enfant ou un diabète avec des complications chez une personne âgée en perte d'autonomie n'exigera évidemment pas le même temps. La productivité d'un médecin devrait être mesurée selon l'amélioration ou la disparition des malaises chez le patient, en diminution des visites des patients aux urgences et en réduction des consultations futures pour ce même problème.

Ce type d'évaluation s'avère complexe et les modalités n'en sont pas déterminées. Les chercheurs en santé publique devraient s'y pencher. Une telle mesure de productivité permettrait de cerner les stratégies les plus pertinentes et de les appliquer à l'ensemble des médecins.

TROP PAYÉS

La rémunération des médecins varie énormément non seulement entre les omnipraticiens et les spécialistes, mais aussi entre différentes spécialités médicales et à l'intérieur même de chaque spécialité. Toute personne intéressée peut le constater en consultant le site Santé inc. sous la rubrique statistiques salariales. Contrairement à ce qui a été rapporté dans les médias, la rémunération des médecins ne constitue pas un secret : les revenus y sont clairement présentés par spécialité et par le mode de rémunération (à l'acte, à forfait, mixte). On y apprend, par exemple, qu'environ 10 % des médecins gagnent moins de 100 000 $ par année. Environ le même pourcentage facture plus de 500 000 $, surtout dans les spécialités qui nécessitent des investissements et un soutien technique importants et coûteux comme l'ophtalmologie ou la radiologie.

On pourrait donc conclure que certains médecins sont très bien payés, mais ils ne mettent certainement pas la totalité de ces sommes dans leurs poches. Rappelons que les médecins financent à même leurs revenus le fonctionnement de leurs cabinets et ne possèdent aucun avantage social (congés de maladie, vacances, régime de retraite).

ILS TRICHENT DANS LA FACTURATION

Sans doute, comme dans toutes les sphères de la société, des tricheurs se trouvent malheureusement parmi les médecins. Toutefois, l'ampleur du phénomène demeure inconnue. La RAMQ possède les outils nécessaires pour mettre un frein à une facturation abusive. Elle peut, de façon aléatoire, effectuer des vérifications auprès des personnes qui ont fait l'objet de la facturation. En fait, je sais qu'elle le fait, puisqu'un patient m'en a fait part : la RAMQ l'a contacté pour vérifier s'il m'a vue à une date précise. J'ignore cependant la fréquence et l'étendue de ces vérifications. Il serait également facile pour la RAMQ de comparer la facturation avec les notes au dossier, où chaque visite doit être consignée, en effectuant une visite à l'improviste chez le médecin.

Par ailleurs, à l'heure de l'informatisation de toute la facturation, la RAMQ pourrait envoyer un relevé de visites facturées par les médecins à une fraction (10 % ?) des citoyens en les invitant à confirmer ou infirmer ces rencontres. À la fin de la décennie, on aura fait le tour de toute la population !

ILS SONT LES MAÎTRES DU SYSTÈME DE SANTÉ

Les médecins décident du fonctionnement de leurs cabinets. Bien entendu : il s'agit de leurs propriétés ! Par contre, à l'hôpital, c'est l'administration qui détermine le nombre de consultations externes pour chaque médecin et l'horaire de celles-ci. L'administration décide quel type de personnel sera employé dans les cliniques externes : nutritionnistes, infirmières, secrétaires, et quel en sera le nombre. Le quota de lits dont disposera chaque service dans l'hôpital et le nombre de salles d'opération ouvertes dépend également de l'administration de l'hôpital. Ainsi, à l'hôpital, l'autonomie des médecins est gravement limitée.

Il est pénible de se trouver injustement au banc des accusés : toutes les personnes abusivement amalgamées à des déviants dans leurs groupes peuvent en témoigner.

Il est indigne d'une société démocratique et instruite de procéder à de tels amalgames. Souhaitons-nous davantage de discernement et de dialogue serein pour 2016 !