L'évolution étant ce qu'elle est, La Presse met fin à son édition papier cinq des six jours qui subsistaient. J'ai 34 ans et, bien que je sois passé au format numérique depuis un certain temps, cette nouvelle m'a subitement fait vieillir de trois ou quatre siècles... En fait, c'est qu'à partir de maintenant, en tant qu'ex-camelot, je devrai adopter une formule du genre : « Dans mon temps, mon jeune, La Presse, on passait ça à pied, sept jours par semaine, à cinq heures du matin, beau temps mauvais temps ! Pis en plus, le lundi soir, il fallait aller faire la collecte ! »

Ainsi, cette nouvelle m'a replongé au moment ou, à quinze ans, j'ai atteint la ligue nationale de la distribution de journaux : je devenais camelot pour La Presse. Ce journal entrait quotidiennement dans la maison familiale depuis toujours et les cahiers se retrouvaient invariablement séparés et partagés entre les membres de la maisonnée. Bien heureux d'avoir percé l'alignement, je caressais déjà le but de me voir apparaître dans la rubrique des camelots de la semaine... Afin d'y parvenir, j'allais sans le savoir participer à un stage de gestion.

En effet, le travail de camelot a permis à une armée de jeunes de développer une discipline et des aptitudes très utiles dans le cadre d'une carrière. Tout d'abord, il fallait se lever tôt, mais, surtout, se coucher tôt ! Ensuite, établir la route la plus efficace et rapide possible et penser que le samedi, La Presse est si épaisse qu'il faudra diviser la route en deux pour repasser à la maison se réapprovisionner.

Également, il fallait avoir une certaine stratégie financière. À cette époque, un abonnement de 7 jours coutait autour de 4,75 $. Lors de mes premières collectes, j'avais remarqué que si je collectais pour une semaine, les gens donnaient 6 $, mais pour deux semaines, ils ne donnaient pas nécessairement douze. J'ai rapidement adopté la collecte hebdomadaire ! Pour les rares qui payaient directement La Presse annuellement, j'allais leur porter mes coordonnées aux 2-3 mois en les questionnant sur leur satisfaction. Invariablement, la stratégie était efficace ! Et bien sûr, les gens étaient généreux à Noël.

Après la collecte, il fallait aller déposer la portion appartenant à La Presse pour qu'elle puisse le prélever. Gare aux indisciplinés ! Toujours dans l'optique de maximiser le revenu, il fallait fournir le service optimal.

Cela permit de découvrir très tôt que des gens ne seront jamais satisfaits, mais qu'il existe tout de même des moyens de s'améliorer.

À ce chapitre, à même mes revenus, j'avais acheté des sacs de plastique afin de protéger la marchandise des intempéries... J'en avais tellement acheté qu'il m'en reste encore aujourd'hui... Leçon d'inventaire !

Il fallait aussi un plan de sous-traitance. Mon ami Francis m'avait remplacé pour deux semaines alors que j'allais en vacances avec la famille. Il fallait donc expliquer la route, les exigences très spécifiques de certains clients, etc. Aussi, La Presse nous envoyait parfois à la chasse aux nouveaux lecteurs. Si l'on parvenait à dénicher un nouveau client ou à transformer un abonnement de fin de semaine en 7 jours, à nous les bonus ! C'était donc une formidable école de gestion pour de jeunes gens prêts à y mettre l'effort.

En définitive, le métier de camelot s'en va tranquillement rejoindre celui d'allumeur de réverbères au musée. Toutefois, à mes amis Dave, Simon, Alvaro, Patrice, ainsi que tous ceux que je ne connais pas, mais qui ont été camelots pendant des années (même durant le verglas) et qui ont appris à esquiver les tracteurs de déneigement dans la noirceur, mes hommages !