Quel est ce vent d'inquiétude qui souffle au-dessus de nos têtes ? Bien que je m'en étonne, je crois pourtant en saisir la teneur.

Mais j'aimerais d'abord parler d'asile, parce qu'en ce qui concerne les récents mouvements de populations en Europe et au Proche-Orient, je préfère penser à « eux », non pas comme des migrants ou des réfugiés, mais bien comme des êtres à part entière, demandeurs d'asile.

Après avoir perdu leur liberté, perdu tout ce qu'ils ont construit et, sur la poussière des routes, quelque chose de leur identité, « ils » doivent maintenant demander. Demander l'asile, dans l'espoir de voir se tendre une main secourable. Pour moi, l'expression vient mettre en lumière une chose que l'on pourrait oublier : cette humilité-dans-le-drame qu'il leur faudra (encore !) puiser dans leurs réserves.

Petit préambule parce que, même si nous allons recevoir essentiellement des populations de camps de réfugiés, les expressions, elles, recouvrent les réalités et les sculptent, faisant souffler, justement, des vents d'inquiétude.

Donc, ces demandeurs d'asile seront bientôt parmi nous en nombre important, mais ne représentent, en réalité, qu'une infime partie des quelque quatre millions de Syriens en exil. Dans tout ce que l'on entend, je ressens non seulement la peur d'un envahissement, mais celle, également, absurde, d'un certain syndrome du cheval de Troie : un ennemi se cacherait dans les rangs anonymes de cette vaste transhumance...

La prudence est de mise, oui, mais les raccourcis alimentés par la peur ?

Vous y avez vraiment cru, à cette histoire du passeport syrien « trouvé » sur les lieux du Bataclan ? Les faux passeports syriens pleuvent ; ne serait-il pas naïf de ne pas flairer dans cette « preuve » quelque opportunisme politique ?

Croyez-vous sérieusement que le groupe État islamique (EI), avec ses réserves de trois milliards, proposerait à l'un des siens une randonnée en pneumatique et quelque mille kilomètres à travers champs et barbelés, pour aller rejoindre les copains et faire sauter la baraque ?

Non, il semble désormais clair que les « combattants » sont déjà bien installés ici et ailleurs. Que l'on regarde les événements de Paris, ceux du Charlie Hebdo ou encore ceux d'Ottawa. On arrive à la constatation qu'il s'agit bien, en effet, de nationaux « de souche » ou d'immigrants de seconde génération. La Belgique, par exemple, pullule de cellules constituées de membres à la peau bien blanche, possédant de beaux passeports bourgogne de la Communauté européenne...

C'est la force de l'EI. Ses recruteurs, installés dans le nouveau califat d'Abou Bakr al-Baghdadi, ont beau jeu d'aller racoler, sur leurs sites sophistiqués, une jeunesse aux horizons bouchés. Et l'EI fertilise avec succès ce terreau d'enragés, ouvrant une voie royale au nihilisme réactionnel offrant son palpitant moment de gloire.

Pour tous ces ferments de martyres, hier, c'était Al-Qaïda. Demain ce sera autre chose, comme le résume Olivier Roy dans Le Monde : Il ne s'agit pas de la radicalisation de l'islam, mais de l'islamisation de la radicalité.

Notre vent d'inquiétude souffle décidément son râle dans la mauvaise direction. Il nous invite aussi, malheureusement, à soupçonner en filigrane ces prochains arrivants comme la source d'un nouveau fléau : la mutation de notre société. Pour moi, la chose est pire encore, collectivement, car mené à son terme peu glorieux d'exclusion silencieuse, ce fléau s'épanouira forcément en sa prophétie annoncée...

Or, jusqu'ici, nul ne peut nier que notre société ait largement bénéficié de la diversité de ses « arrivants », tout au long de son histoire. Qu'est-ce qui diffère donc tant cette fois-ci ?

Se pourrait-il que ce soit le fait que l'on franchisse désormais cette cassure nette vers l'autre monde : les eaux du Bosphore ? Ce témoin, rempli du sang des Croisés, contemple en Constantinople et la fin de l'Empire romain d'Orient une mémoire de notre civilisation occidentale, un référent conscient ou non, à ce que l'on « connaît ».

À d'importantes exceptions près, l'ensemble de notre immigration vient tout de même largement d'un « bassin » caucasien, catholique et protestant. Or, voici que celle-ci provient maintenant d'une autre branche de l'arbre humain. L'étranger, cette fois, serait donc plus étranger que jamais avec, accroché au cou, un Coran à géométrie variable, récupéré.

Dans notre contexte d'accueil prochain, je crois que le mieux serait qu'on s'éloigne de tout ce bruit ambiant afin d'aller à la rencontre de ces demandeurs d'asile avec l'attitude la plus respectueuse possible, eu égard à l'immense drame qu'ils viennent de vivre.

Écoutons-les avec un coeur ouvert et aidons-les à se former de nouveaux repères.

Souvenons-nous, par ce geste naturel de bienvenue, de l'insigne privilège qu'il nous est donné d'offrir asile, dans notre pays riche, immense et libre.

En ces temps d'individualisme forcené, voilà une occasion tangible de dépassement, en allant découvrir celui qui est différent ; une magnifique occasion de constater que notre peur puisse alors se muer en compassion, nos préjugés en curiosité, et notre vent d'inquiétude en un sentiment d'utile altruisme.