Les syndicats affirment que la grève est un moyen dirigé contre les mesures gouvernementales qui vont affecter la qualité des services ainsi que la qualité de vie des travailleurs. Je veux bien les croire, mais je n'arrive pas à dissocier la grève de la logique d'austérité qu'elle prétend combattre. Il faut peut-être en conclure que j'ai besoin d'aide. À vous d'en juger.

Puisque le front commun regroupe 400 000 syndiqués, si nous calculons un revenu d'environ 200 $ par jour, les syndiqués remettront 80 millions de dollars par jour de grève au gouvernement. Les différents syndicats ayant voté six journées de grève, le cas échéant nous remettrons environ 480 millions à notre employeur.

Est-ce que ce geste signifie que nous croyons tellement à l'éducation, à la santé et aux autres services fournis par l'État que nous sommes prêts à financer nous-mêmes les mesures que nous réclamons ? Remarquez que cette logique d'auto-austérité pourrait se comprendre, puisque les « gains » que nous ferons devront de toute façon être assumés par les finances publiques, donc par nous-mêmes. En poussant ce raisonnement jusqu'à l'absurde, il faudrait voter 18 journées de grève pour que nous puissions signer notre prochaine convention collective dans l'enthousiasme, car les demandes salariales du front commun (13,5 % sur trois ans) équivalent à 1,5 milliard de dollars.

Mais là où je comprends encore moins ma grève, c'est qu'on me traite de réactionnaire lorsque j'affirme que je suis d'accord avec la mesure qui ferait passer l'âge de la retraite de 60 à 62 ans (j'ai 55 ans, en passant).

Considérant l'augmentation objective de l'espérance de vie, je suis en faveur de cette mesure parce que je souhaite que notre collectivité dispose des ressources pour financer des services de qualité et pour que les jeunes, qui débutent dans le service public, puissent bénéficier des mêmes avantages que les générations précédentes. Alors, pourquoi considère-t-on ma position comme antisyndicale ?

En fait, lorsqu'on me dit que mon programme de retraite est en bonne santé financière, je ne peux m'empêcher de penser aux réfugiés syriens qui commencent à geler sur des plages européennes au moment même où nous en appelons à la « solidarité ». Est-ce que nous aurons les ressources financières pour en accueillir quelques-uns et d'où viendront ces ressources ?

Je ne voudrais surtout pas que l'on pense que je suis contre l'amélioration des conditions de travail ou contre l'enrichissement en général, bien au contraire.

Dans la foulée des négociations, une liste circule actuellement pour démontrer que l'échelle salariale des enseignants de l'Alberta va de 61 000 $ à 95 000 $ en dix échelons, alors que celle du Québec débute à 39 000 $ et plafonne à 76 000 $ sur 17 échelons.

Mais alors, pour obtenir les conditions de travail de l'Alberta, ne devrions-nous pas favoriser la circulation sécuritaire du pétrole sur notre propre territoire et/ou entreprendre l'exploitation du pétrole québécois ? Ne devrions-nous pas également planifier la mise en marché de notre eau douce, puisque l'accès à l'eau sera un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire mondiale au cours des prochaines années ? N'est-ce pas notre richesse collective et notre développement technologique qui nous permettront de relever les défis socio-économiques de l'avenir, incluant l'amélioration de nos conditions de travail ?

Pourtant, devant de telles affirmations, plusieurs considèrent que je ne suis pas seulement réactionnaire, mais que je suis également un ennemi de la planète.

Finalement, puisque mes avantages sociaux me donnent droit à quelques séances de psychothérapie « gratuites », je crois que je vais tenter de faire soigner ce dilemme. Si quelqu'un veut m'accompagner, quelle que soit votre allégeance, pourvu que vous soyez de bonne volonté, vous êtes bienvenu. En fait, c'est nous tous qui payons !