Depuis jeudi soir, j'ai l'impression que le monde s'est arrêté. J'ai regardé plusieurs fois le reportage de l'émission Enquête et j'ai observé les réactions de la société québécoise dans les médias. J'ai eu du mal à aller travailler et je ne parle que de cela à mon entourage.

Pourtant, je n'aurais pas dû être tant choquée par ce reportage. Il y a trois semaines, je donnais moi-même une conférence sur les femmes autochtones, notamment sur les violences qu'elles subissent.

J'ai également été intervenante auprès de femmes victimes de violence conjugale. Des histoires de violence envers les femmes, j'en ai entendu beaucoup. Seulement, cette fois-ci, je n'arrive pas à reprendre le cours normal de ma vie.

C'est quand j'ai lu la lettre ouverte d'Isabelle Picard (anthropologue et membre de la nation huronne-wendat) que j'ai commencé à comprendre la nature de mon malaise. Elle a écrit : «  [...] J'en ai assez de devoir fermer mes yeux, d'essayer de me faire croire que ces réalités ne me touchent pas parce que moi, par chance, je suis éduquée, je ne consomme pas, je ne vis pas comme elles. Car ce n'est pas vrai. Je suis comme elles. » Je me suis alors demandé si j'oserais affirmer que je suis comme elles.

Je me présente toujours comme une femme autochtone, une métisse, une Abénakise et une Québécoise. Néanmoins, on me demande souvent si je suis vraiment autochtone, vraiment « indienne », une « vraie », quoi. En fait, pas plus tard qu'aujourd'hui, on m'a dit : « Mais toi, t'es pas vraiment autochtone... », l'air de dire : « avoue-le donc, franchement, c'est pas sérieux ». Mais pourquoi ? Parce que je suis éduquée ? Parce que je n'ai pas les traits qu'on pense que je devrais avoir ? Parce que je vis à Montréal ? Parce que je ne fais pas la danse du soleil ?

Je pose ces questions, mais moi-même, je me demande souvent ce que c'est, être une femme autochtone. Et c'est précisément ce que le reportage d'Enquête a soulevé chez moi.

Récemment, j'étais à un rassemblement de femmes autochtones où, pour nous faire prendre conscience des risques de reproduire la violence qu'on a vécue, nous devions répondre à un questionnaire qui m'a paru terrible. On nous demandait entre autres si quelqu'un de notre famille ou nous-même avions vécu une expérience de violence conjugale, d'incarcération, de disparition, de meurtre, de suicide ou d'inceste.

Au contraire de « mes soeurs », je n'ai pas pu répondre que j'avais vécu quoi que ce soit de cet ordre et j'ai eu honte. Alors que les femmes autour de moi s'échangeaient leur résultat, j'ai évité leur regard et j'ai caché mon bout de papier parce que je me suis dit que si on venait à savoir que je n'avais pas vécu de violence, on penserait que je ne suis pas autochtone, que je ne suis pas une « vraie ».

Quand j'ai vu ces femmes de Val-d'Or dire que cette violence policière était une pratique courante, j'ai revécu ce malaise profond. La violence fait tellement partie de la vie des femmes autochtones que j'ai eu à me reposer la question : en suis-je vraiment une ?

Comment se fait-il que j'aie à me poser cette question ? Comment se fait-il qu'en 2015, au Québec, il puisse exister une telle inégalité ? Comment se fait-il qu'on ne prenne pas au sérieux les femmes qui dénoncent depuis tant d'années ce qu'elles vivent ? Comment se fait-il que des organismes qui luttent contre la violence faite aux femmes autochtones, tels que Femmes autochtones du Québec, soient dramatiquement sous-financés ?

Les enquêtes dont on parle ces jours-ci me semblent être de bonnes solutions. Mais il faudra bien plus.

Il faudra faire ce qu'on n'a jamais vraiment osé : reconnaître que le Canada a échoué son projet colonial qui est toujours en cours et y mettre fin une fois pour toutes, accepter que le racisme est une réalité tout à fait actuelle et la confronter, et donner les ressources et le temps qu'il faut aux communautés autochtones pour guérir de toute cette violence subie depuis tant de générations.

Il y a beaucoup d'autres solutions et si on ne les connaît pas, c'est peut-être parce qu'on n'a pas pris le temps d'écouter et de prendre au sérieux ceux et celles qu'on a dépossédés de leurs territoires, de leur langue et de leur culture au profit de notre belle société égalitaire.

Finie l'apathie, finie l'inertie, « Idle no more » !